Appelle-moi "oiseau-myosotis"
L'enfance court comme un serpent d'herbe et d'eau, sans passeport, sans passe-mots, sans maux de passe, sans passe-douleur. Pas de frontières. Elle chante les Marseillaise d'un exil triomphant.
Je peuple la terre, je campe dans les jardins d'âme où la beauté cherche son camp. Je fais triste au pays d'homme quand la souffrance fait ses provisions d'arbres, de pluies acides, d'enfants de la faim, de bombes, de bêtise, et se gave de la sueur des pauvres. Je voyage, je passe entre les heures, entre le passé et la timidité du bonheur, je ne vieillis pas, je fane comme une herbe sauvage que l'eau de l'espoir cesse d'arroser.
Je cueille des cernes sur les grimaces du corps, je ne sais où je suis, je vis ou meurs dans cette foire au temps à vivre où les jours, les heures, m'épuisent, et les années s'effacent sur des calendriers en détresse. Mon cœur bat tambour, je t'aime avec des yeux affamés et, quand je dis cela, c'est de la Vie, écrite avec un V cathédrale dont je parle, comme je parle aux oiseaux, aux rêves et aux promesses qu'elle enferme. J'aimerais lui donner des ailes à offrir aux enfants de demain, les protéger des fous de dieu, comme il faut protéger la vie, la terre et le ciel de la folie des hommes. J'écoute, respire et cueille des prières d'alouettes, je ne voudrais pas fermer boutique avant d'être certain que mes enfants apprendront la paix et le rire et l'enseigneront à ceux qui viennent. J'écoute, plus haut que les murs à meurtrières où gémissent des folies endimanchées et des lucidités d'oiseaux seuls. Leurs cris dessinent le ciel, se faufilent entre les doigts des nuages, entre la fourche, la faucille, et les dents de la Mort. J'y ai perdu ma langue, usé tant de cris à dire. J'ai peur.
Quand le feu assiège le silence, la rumeur s'ébroue comme une ombre verdâtre. Mains plaquées sur mes deux oreilles, je ne veux plus écouter le bruissement des nuées de pensées incendiaires qui s'évadent des multitudes gémissantes. Je ne veux plus savoir les cauchemars des verbes tétanisés au fouet de la bienséance. J'irai sans passeport, tête en l'air, et murmurant des noms oubliés dans le vide sidéral.
Je taille au-delà de la faille du désir et celle des possibles, entre le brouillard des origines et cette racine première d'une mer éteinte où se perd ma première larme. Dans une mémoire saline, je Te cherche dans l'ombre des rues de Tolède à celles de Tétouan. Je chercherai le Juste jusqu'à ma mort. Je marcherai jusqu'à ma dernière bataille en pensant à vous, vivant dans l'ébène et l'ocre des peaux parmi les couteaux et les haines du sud, jusqu'à ce que nos yeux broutent la poussière pour en faire du silence.
Je suis un gravier qui chante et danse dans l'arithmétique des temps passés, un rebut d'oubli qui cabre le présent. Je suis ce cri que l'on ne connaît pas et qui suit la courbe des millénaires. Appelle-moi "oiseau-myosotis", laisse-moi barrir dans la douleur des éléphants et dans la cartographie des conquérants qui rougissent les mers de sang, et la mémoire des hommes, celle du goéland, celle de la savane. Je suis l'enfant d'Hiroshima qui dort près des enfants d'Anne Franck. Je suis ceux qui ne viendront plus. Tant de portes se sont fermées que les enfants, foulant les traces de leurs parents, n'ouvriront jamais. Les maisons de l'enfance entassent nos rires derrière des portes fermées.
Je n'ai de domaine nulle part, clef au cœur, j'attends la nuit et les passe-verrous qui ouvriront ma maison d'autre rive. L'insolite appel des clairs-de-nuit du subconscient, les reste-là, les reviens-nous, clament les vestiges d'un passé interdit. Il y a tant de regards que l'on jette aux orties quand on retient la main qui se tend, tant de crimes semés, quand l'on ne conjugue plus le verbe aimer. Je veux récolter des mots d'enfants, des joies d'écureuil et des galops de gazelles, en mettre sur les chemins, bâtir des passerelles.
Je veux que chacun sache la couleur du verre et de l'eau quand un homme a soif, que chacun sache la lumière que libère chaque don de soi, chaque promesse tenue. Je veux voir des pelouses de pivoines et des fleurs que l'on ne piétine pas, des coquelicots que l'on ne coupe pas. Je veux que chacun se nourrisse de "La centaine d'amour" de Pablo Neruda, que chacun, même en imagination, adopte un arbre, un enfant, un oiseau, un carré de terre, et qu'il s'en sente responsable. Je veux que l'on parle aux vagues, à la mer et aux poissons, avec l'amour que devraient avoir ceux qui s'en nourrissent, et ne plus jamais voir d'oiseaux englués dans le mazout.
J'aimerais serrer un arbre dans mes bras, lui demander de me consoler de mes peurs et lui demander pardon, apprendre à préférer une confiance fragile au soupçon et à la défiance. J'aimerais défier la nuit pour acquérir des étoiles et savoir que si la lune nous fait crédit c'est qu'elle risque sa lumière pour éclairer le chemin. L'existence ne se nourrit pas de misère. L'Obscur demande la lumière pour grandir l'Amour.
Ce soir, il est tard, j'attends le dernier courrier du futur, je suis las des noms effacés sur le calendrier des amours égarées.
Revenez, revenez, revenez, je ne vous oublie pas, je n'oublie rien, je n'oublie pas.
Déjà, j'ai cueilli trop de cernes sur les grimaces de mon corps, j'attends le grand sourire.
jms 5 juin 21