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Ile Eniger

Publié le par Cheval fou (Sananes)

Tout bouge autour. La mer d'un bleu frais, les mouettes bavardes, un flot de monde dans les allées, et le soleil tout neuf brûlant ses cartouches d'été sur les tentes blanches du Salon du Livre. Nous sommes assis les uns à côté des autres, des oignons qui sèchent et sourient. Les gens vont, viennent, passent. Certains regardent, distraits, fermés, ou indifférents. D'autres approchent les livres comme des gourmandises, s'arrêtent, questionnent, s'intéressent. Un très vieux monsieur dit : "il y a des ombres qui restent". Parle-t-il de lui ou d'un souvenir qui guide ses mains ? Une dame cherche "de la vraie poésie". Pas celle comme la mienne qui ressemble aux mots de tous les jours mais "la vraie poésie avec des rimes et des titres". Elle s'éloigne dans un haussement d'épaule. Et la jeune anorexique dont les os des clavicules trouent son vêtement comme des moignons d'ailes avortées. Elle écoute, légère, la réponse que je donne à sa question, puis me demande quel est mon livre le plus triste, le feuillette et s'en va, transparente dans la foule épaisse. Et aussi le professeur, "j'ai tous vos livres, j'en parle dans ma classe de seconde littéraire". Tout ce remue-ménage de gens, de livres. Tout bouge autour. Dedans aussi. Et celle qui écrit accompagne l'élan, du regard, de l'âme. Le contact en plus des mots. Cette joie au milieu. La gratitude.

Ile Eniger - Le raisin des ours - à paraître

Publié dans Ils disent

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La dame du salon du livre ou le chemin des solitudes

Publié le par Cheval fou (Sananès)

Elle s’approcha
Petite femme fine
Élégante et sobre
Au regard, une tristesse timide.

Un livre l’appelait, la happait
L’accrochait comme une ronce à la robe du destin.
Elle était là, face à lui
Captive d’une effrayante fascination, tétanisée.

À petit pas, elle oscilla longuement
Entre un livre sur les chats
Et le cri terrible d’un autre livre : "Lettre à mon Alzheimer"
Très longtemps elle sembla flotter entre les deux
Effeuillant le livre en tendresse chats
Puis s’approchant de l’autre.

À maintes reprises elle le saisit d’une main tremblante
Le titre de feu la brûlait
Une violence invisible la contraignait
À prendre, à poser puis reprendre ce livre
Une moisson de douleurs s’agitait entre ses mains.

Quand enfin elle réussit à entrouvrir les pages
Lèvres serrées, elle parcourut le chemin d’encre  noire
Dans un silence d’enfant perdue dans la maison de l’ogre
Elle traversait l’intensité de chaque mot
En libérant quelques soupirs.

Un ralenti du temps la figeait dans un monde ailleurs
Ailleurs mais si proche de moi, si proche de nous
L'intensité du moment laminait toute respiration
Enfin elle me parla…
Parole de crucifiée aux barbelés de l’oubli
Sourire d’enfant perdue au mouroir de la vie
Demande désespérée : Pourquoi oublie-t-on qu’ils sont encore des hommes ?
Je posais de maigres mots sur l’insoutenable blessure.

La vieille dame à la tristesse timide
S’excusa de ne pouvoir acheter qu’un seul livre
Demanda une dédicace
Puis la foule l’emporta.

Depuis sa douleur me côtoie
Depuis je lui parle
Comme elle parle à l’absence.

JMS - Extrait de "Dieu, le silence et moi" - Editions Chemins de Plume

Publié dans Dieu le silence et moi

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Salon du livre de Nice 2011

Publié le par Cheval fou (Sananes)

 Dans cette France où Éric Cantona et Laurent Blanc font plus d’audimat que Victor Hugo, dans ce monde où les médias orchestrent la gloire, les poètes sont et restent les précaires chroniques de la notoriété, des marginaux de salon qu’il convient de ne pas trop montrer ! Il serait temps que politiciens et responsables d'événements dits culturels, apprennent que le vivre ensemble passe par une valorisation de la culture commune qui fait le ciment d’une identité.

 

Il est temps que l’on sache que la coupe du monde de football et les débauches financières qui font les choux gras des médias ne sont pas la Culture mais de l’événementiel ! Dans deux mille ans Homère, Proust, les philosophes, les poètes et les grands écrivains seront encore là ! Si aux hit-parades des chaînes de télévision, les émules d’Homère, Proust et autres littéraires sont minoritaires et moins visibles que les Hooligans, la Jet-Set et autres dérives ou excès, ils n’en restent pas moins notre véritable Culture.

Je remercie donc la ville de Nice et tous ceux qui luttent contre désacralisation de la Culture ; les écrivains qui appellent à une réflexion distancée des contraintes du profit et du plaisir ; les organisateurs du Salon du Livre de Nice qui ont fait une place aux poètes en les recevant cette année sans ségrégation aux tables d’écrivains ; les lecteurs qui, par leur présence, justifient cette fête du livre.

 

Hors la joie de retrouver une grande partie de la famille des poètes de Nice et des lecteurs avec qui j’ai tissé de vraies amitiés aux cours de dix années du Salon Littéraire, il y eut également des rencontres émouvantes. Comme cette dame belge de santé fragile programmant ses vacances en fonction des dates du Salon du Livre et se demandant chaque fois si elle sera en état de revenir l’année d'après me parler de ses amis les bêtes en feuilletant mes nouveaux livres. Moments de désarroi aussi : la visite d’une amie chère, sœur en poésie, qui depuis une dizaine d’années se bat contre une maladie qui l'ampute de ses muscles et qui cette année, poussée dans un fauteuil roulant, a fait l’effort de venir nous dire qu’elle ne nous oublie pas. Puis la visite d’une vieille dame à qui je dédie le texte qui suit. Et bien d'autres encore. Contacts bouleversants et justifiant l’envie d’écrire et de dire que les mots ont un sens, que la poésie plus que jamais doit être une fraternité d’âme.

Je dis à tous mes lecteurs merci, car le partage du mot ne se fait pas que dans l’écriture, il se fait dans l’espace d’une compréhension réciproque. Merci, amis invisibles de partager ce que le poète a de plus fragile : l’intimité de ses mots, de la joie à la douleur.

Publié dans Informations

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