Mère, je sais d’où je viens
je ne suis pas né que de tes larmes
je ne suis pas né que de cette cellule première
qui comme le crime se multiplie
qui comme l'homme se divise pour posséder.
Mère, je sais d’où je viens
je suis un parmi les enfants de l'Incalculable
le fils d'un Bigbang et d'une fatalité céleste
je suis un parmi les procréés
je suis fils de la mer et du sel
fils d'une mariée à robe d'eau saumâtre
fils du bouillonnement premier des matins
fils d'uni-vers marchant vers le futur.
Mère, je sais d'où je viens
je viens d'une saveur qui un jour de grand hasard
enfanta la première cellule
je suis de ce sel qui si souvent coulait de tes yeux
je suis de toi, ma Mère
moi qui ne sais s'il vaut mieux être fils de l'imprévu
que de l'attendu.
Je sais, ma Mère, les noces de l'eau et du sel
je sais les douleurs payées en larmes
je sais les faux apôtres du Savoir
et leurs mensonges psalmodiés
quand les enfants partent à la guerre.
Je suis là, ma Mère, à ouvrir mon cri
dans ce silence de premier matin du monde
où s'embusquent les dieux et le grand livre du Hasard
je suis là, et je vous regarde mes frères
fils de l'alarme sous toutes ses formes
je suis là avec vous, fils du Mystère
et je prie pour que disparaissent
les mandataires de l'invisible et leurs épées
leurs venins et leurs mots si doux à enterrer le crime
si durs à se croire maîtres du savoir
si tendres et si sanglants à rougir la terre
si enthousiastes à voir croupir les multitudes dissidentes
je suis là, et je prie pour que tarisse la voix des prophètes du malheur
et qu'enfin, les hommes vivent en paix.
Je détestais l’école, mais j’adorais les livres. Je suis devenu autodidacte par la force des choses. On n’a pas besoin d’un diplôme pour écrire. On enseigne la création dans certaines universités. Ça fait des critiques et des poètes qui se lisent entre eux, mais que personne ne comprend. Mes seuls papiers sont des pages blanches. J’y mets ce que je veux. Je n’ai jamais eu la tête de l’emploi. J’ai la tête d’un arbre, une cervelle d’oiseau, des bras de fleuve. Je lis comme au début. Je mélange le bon grain et l’ivraie, la lavande et l’ortie, la lavande pour son parfum, l’ortie pour la délicatesse de sa fleur.
Il y a des rides derrière les masques, les traces d’une blessure ancienne, l’ombilic sur un ventre, la cicatrice d’un fœtus, une vieille tendresse. Une énergie est là, une communion entre les gens. Dès le premier mot, j’entends la langue de ma mère. J’entends sa voix dès la première note. J’habite sa voix, le souffle de sa voix. Je trouve le germe dans le grain, la mélodie entre les mots. Je traverse en chantant une vallée muette.
Plus que du sang et des entrailles, le corps de l’homme est une âme. On baise avec son corps. On fait l’amour avec son cœur. L’homme se ferme dans la femme comme l’argile dans le feu, la main à la roue, la roue sur le chemin. Je n’ai pas l’âge du temps. J’ai celui des mots. J’ai faim, j’ai soif et j’ai des yeux. J’ai une bouche pour parler et des mains pour donner. Le matin, les rêves sont pressés d’abandonner les draps. Les pieds veulent des pas. Les pas veulent des routes. Il faut que l’amour glisse du cœur à la main, du corps à l’âme. Le ciel mêle sa pluie à la boue de la terre, la fontaine à la soif des hommes, le pain au four qu’on allume.
La nuit, je ne ferme pas la fenêtre
pour que les étoiles entrent
pour que mes peurs s'envolent
Debout, je rêve plus haut que mes cauchemars
j'ai de la nuit jusqu'aux chevilles
j'ai peur de voir plus loin
de savoir ce qui arrive
de regarder les enfants dans le froid
les yeux d'une mère dans l'émoi.
Une odeur de pain noir grippe mes matins
J'ai perdu la clef
l'armoire aux espérances est fermée.
Oh ma frayeur, viendras-tu au matin
raviver le jour quand mes yeux se ferment ?
J'ai perdu l'enfance
j'ai perdu ma vie
j'ai tant perdu de jours
que l'avenir me semble court
je cherche un poème
certains mots s'accrochent à moi
ont-ils quelque chose à dire
les vils brequins, les branquignoles et les parpaings
quand je voudrais des noms de fleurs pas trop lys
des poinçonneurs de lilas, des rémouleurs, des marchands d'oublis,
quand je voudrais les étoiles et la nuit ?
Mais déjà le miroir arrive, un intrus dans le viseur
j'ai mal comme une bougie dont on écrase la flamme
mes mots vacillent, se courbent
la question jette des interrogations inédites
la réponse est un frisson
c'est matin et les étoiles s'envolent
mes peurs savent le chemin.
Le premier mot vient de loin, du fœtus au berceau. Il continue les phrases dans un carré de sable, poursuit sa route sur une table en bois, entre le sel et le poivre, l’apéro, le fromage et le dessert, les verres de plain-pied avec l’azur, les gouttes de pluie sur une assiette, les mottes de beurre qui ont le jaune des pissenlits, les faïences bleu-ciel qui se joignent aux nuages. Je donne un quignon de pain à la grande faim du monde, un litre de vin rouge à la soif des hommes. J’ajoute un os à la soupe, des nouilles en forme d’alphabet, une gousse d’ail, une pincée d’oignon. La vie colore le visage. Une ombre bouge dans mon dos. Ce n’est pas la beauté qui m’importe, mais l’amour où elle s’épanouit. Un sourire sort de ma bouche comme un oiseau de sa cage. Je lance mes regards le plus loin possibles. La langue passe par mon corps. Elle éponge le cœur.
Le temps lutte contre la montre, le sang contre l’argent, la nuit contre le jour, la vie contre la mort. On sait très bien ce qu’on ne veut pas. On sait moins bien ce que l’on veut. Les nuages font la moue sur le visage du ciel. J’aime que le temps m’offre son temps, que l’espace agrandisse les routes. J’aime les pauses, la flânerie, le vent d’avant le vent, la fleur d’avant le fruit, les mots d’avant la phrase, la rosée d’avant l’aube, la première page du jour, sa montée vers la cime suivie de sa descente, la vie d’avant la vie, le fœtus d’avant l’homme. J’ai été amibe, bacille et poisson. J’ai peut-être été bête, pétale, planète, fleur de mai. J’ai une langue apprivoisant les loups, une main pour l’outil, une autre pour écrire, deux bras pour l’accolade, deux jambes pour la courte échelle. J’ai une bouche pour mordre, la même pour embrasser, pour sourire et parler, la même pour aimer.
Je fais la chaîne avec les arbres et les oiseaux, la sève et l’eau d’érable, les plantes et les ruisseaux, le clair de lune et le soleil. Je saute à la corde à danser avec la ligne d’horizon. Les secondes de l’enfance me remontent à la bouche. Je hume les parfums, l’aubépine, le sureau, le cormier, le vinaigrier couleur lie-de-vin, le bleu des lavandes, le mauve des lilas, le rouge des framboises, les yeux noirs du tournesol. J’ai hâte que la colline remette son tablier de fleurs, que la fontaine soit bordée de cresson et de mousse, que la brume soit rose jusqu’aux yeux des nuages. Les sentiments s’élèvent quand on monte. Le cœur bat la chamade sur les chemins de l’eau et les sentiers pédestres.
Les mains jointes pour prier ne valent pas les mains ouvertes pour donner. Ce ne sont pas les dieux qui ont laissé des traces, bâti des cathédrales, érigé des dolmens entre les croix de bois, ce sont les hommes. Ce ne sont pas les fantômes qui hantent les tombeaux, ce sont les souvenirs. Ce n’est pas le feu qui réchauffe la terre, mais la main à la pâte, à l’épaule, à la roue. Un écureuil surgit entre deux parenthèses, écalant quelques mots. Une couleuvre se glisse entre les lignes. Je reviens souvent à la rivière Larose pour parler aux poissons, aux galets, aux arbres, aux écrevisses. Je mords à l’hameçon du temps, au rapala du rêve. La fin épouse le début comme la faim marie le pain, la fontaine la soif. Il n’y a pas de dernier mot. La même phrase se poursuit, d’une lettre à l’autre, de livre en livre, de maux dits en mots tus. Parfois, une parenthèse s’ouvre sur la vie. Elle se ferme trop tôt.
Je ne suis pas
que cette cicatrice
qui porte ses 85 kilos de restes de vie
de mémoires, de festins, de larmes
de rires, de défaites et d’espoirs
cette somme de cris et d'enfance perdue
cet œil arrimé au jour d'exil où son monde s’effondra
ce jeu de billes oublié dans les recoins d'un escalier
ce premier sourire d'enfant muet qui te regardait
cet homme fracassé devant les rires d'un huissier
ce souffle qui manque sur un chemin de côte
cet inconnu qui passe sous un ciel de pluie
Je suis l'enfant qui, au matin, marchait main dans la main
avec une femme aux yeux tristes, sur la route du laitier
Je suis cet autre qui hésite entre le moment et hier
cette ombre en partance parmi ces noms que la mort périme
et celui qui se voudrait debout alors même que son siècle bascule
Je ne suis pas qu'un manteau de chair posé sur une âme
Je suis chacune de ces minutes qui me dispersent
ce vieil homme que l'enfant regarde en l'appelant grand-père
ce regard qui se cherche dans des ailleurs d'autres temps
celui qui traîne sa vie comme une cicatrice d’espoir
et se dit que le jour n'est pas encore fini.
J'ai vu passer la vie, j’ai laissé chanter les printemps, mais l'âge des hivers est arrivé. Une stupeur affolée frémit dans le vent. Le cri des villes est là. C'est un temps d'arbres décapités qui paradent à l'étal des magasins. Une fête où la brillance exhibe la mort de ses sapins. C'est une forêt ensanglantée d'un sang de résine qui pleure sur les collines. Une rumeur in-entendue, un gémissement sous la hache, un pays d’arbres, foulé au feu et à la convoitise, qui ploie sous le pas des marchands. C'est la résignation du faible à l’avancée du bourreau.
Ne faudrait-il pas inventer un droit de l'arbre sauvage, inventer une nuit bleue du sapin, un temps où l'on rendrait hommage aux peuples des bois ? Ne faudrait-il pas inventer un sanctuaire mémorial où nos enfants chanteraient un futur dans lequel les arbres, les oiseaux et les hommes porteraient un même élan de vie ?
Si d'aventure, un jour, par une bizarrerie du sort, mon-temps-psychose se revêtait d'une peau d'écorce et que l'on venait me voler à ma vie pour me farder des rituels et sorcelleries de l'homme en cette Saint Barthélémy des sapins que chaque année vous répétez, que dirais-je à mes oiseaux, au cerf que vous chassez et que je cache, à l'écureuil et aux champignons que je nourris ? Que dirai-je à leur peur qui grandit ? Devrai-je leur dire, n'aie pas peur de l'homme ?...
Les voix se sont assises sur le chemin
et l’écho s'en est allé
plus loin que les couloirs de l’heure.
Le matin se cherche comme court ce chat
qui m'attend dans un ailleurs des rires
que la raison endigue.
Parfois, sur un rebord de crépuscule,
sous un ciel où se rassemblaient les hirondelles,
une tendresse ou un rire me revient
parmi leurs envolées aux retours incertains.
Est-ce le tien ma mère ?
Ou une brisure d’éternité
qui retiendrait son souffle ?