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Orénoque

Publié le par Cheval fou (Sananès)

Je me connais trop bien, je n'irai pas en Orénoque. Là-bas il y a trop d'amis que je n'ai pas connus, trop d'hommes et de femmes qui travaillent dur, trop dur pour être libres ; et tant d'autres qui ont trop faim pour traverser le jour. Comment pourraient-ils penser à moi ou même penser au ballet des colibris !
Aussi pourquoi irais-je en Orénoque ?
Le nom chante et m'enchante, il habite des globes, des mappemondes, un coin des Amériques, et les rêves de mon enfance*… mais, ai-je eu une enfance ? Il y a si longtemps que j'en suis sorti.

La première fois où je me suis rencontré, je n'avais aucune dent à dresser contre la vie, j'étais un cri, un ventre, une peur blottie dans les bras de ma mère.  J'avais trois mois et un père contre moi. Il dévastait le soleil comme une tendresse violée. Dans l'incendie de ses paroles, il était de feu et de lave brûlante, volcanique comme un orage-colère déchirant le ciel.
Entre le bruit et la tempête, ma mère s'agitait dans le miroir ovale. À ses côtés, un cri : le mien. J'habitais déjà l'incertitude d'être. Je me savais la chose en bout de cri, je m'observais, m'identifiais, m'élaborais un visage sans futur, sans envie. Je me reconnaissais dans le puissant désir de ne pas être là. Déjà je fréquentais l'étrange frayeur que l'on nomme le présent. Ma mère marchait entre le miroir et ses pleurs, déjà je me sentais étranger.

Je me connais trop bien, je n'irai pas en Orénoque. Les moustiques m'y attendent d'ailes fermes et les Warao* se moquent de moi. J'arpente la courbe descendante, je désenchante mes rêves. Il y a si longtemps que je suis sorti de l'enfance.

Depuis que je me suis rencontré, j'ai une dent, trois molaires et ma canine, dressées contre la vie.
Depuis, j'ai aperçu mon père cerné de peurs et de devoirs, l'amour toujours dissimulé entre colère et pudeur. La nuit l'a emporté, il est à jamais parti comme une parole non dite.

Je n'irai pas en Orénoque.
Chaque jour, j'invoque l'époque, la folie du monde et ses blessures.
Chaque jour, j'évoque les présidents dans la danse des billets verts, leurs breloques et les parures inutiles.
Chaque jour, je hurle, je bloque, je débloque, vogue et divague, apostrophe, défroque les dieux équivoques, les prophètes, et les morales univoques.
Chaque jour, je convoque, révoque les dieux Taylor, Marx, Mao, la horde du CAC 40 et les colloques du G20.
Chaque jour, je sais les maîtres du glauque et de la finance qui mènent leurs guerres sous la bannière loufoque de la déréglementation et du libéralisme. Partout, ils soudoient et tuent les peuples par réalisme économique. Chaque jour je vois les multitudes en loques et les enfants sans avenir.
Il y a trop d'amis que je ne connaîtrai pas, trop d'hommes et de femmes qui travaillent dur, trop dur pour être libres, et tant d'autres qui ne traverseront pas le jour.
Chaque jour je sais qu'en Orénoque, comme partout où les élites décident, brutalité et spoliations économiques ne sont pas des crimes.

Je viens du rêve lointain d'un auroch des prairies, je viens d'une larme soliloque et d'un jazz de coton qui rocke et lancine la mort et le blues de tempos en tempêtes éternelles. J'ai traversé leurs guerres inavouées et les festins rauques de la folie. Je viens d'une mémoire baroque où j'ai tant aimé la mort que la vie ne me fait plus peur.
Longtemps que j'ai déchiré le ciel et mes projets de haine. Je veux vivre nu dans un monde d'ambitions disloquées où les assassins du rêve seront châtiés.

Longtemps que je me suis rencontré, mais encore je me cherche.
Je n'ai pas trouvé où Il est.
La quête, la quête comme une longue solitude, Son silence comme une vieille habitude, je vais à ma rencontre.
Je n'habite pas en Orénoque.

*peuple de l'Orénoque
*Au pays de mon enfance, Jules Verne dans "Le superbe Orénoque", citait le département de l'Orénoque (divisé en trois provinces : Varinas, Guyana, Apure)

JMS

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Jean-Marc La Frenière

Publié le par Cheval fou (Sananes)

Chaque bouche fait son pain

           Pourquoi cet uniforme sur le dos de l’absence, ce matricule sur le vide, ce chronomètre à la place du cerveau, cette gâchette qui prolonge l’index ? Une maison hantée a remplacé le corps. La poussière s’accumule dans un cœur sans meuble. À quand les hommes ni soldats ni mendiants ? À quand les femmes ni vierges ni putains ? À quand ce monde rempli d’enfants où chaque bouche fait son pain ? À force de tout bétonner, il ne restera plus de vert que les parcours de golf et les cimetières. La marque des chaussures importe plus que l’endroit où elles vont. Entre les pluies de balles, la vie poursuit son cours. Au passage des tanks, le vent arrache les chapeaux. Les enfants sourient avec un bras en moins. Il y a de tout partout dissimulant le rien. Derrière les affiches, la haine pour nous voir met ses yeux de sniper.

         La neige en fondant laisse entrevoir les plaies et bosses du paysage, les cicatrices du sol, la blessure des routes. Il y a des jours qui nous collent à la peau. D’autres ne sont que trois points entre les parenthèses. Des souvenirs se perdent et d’autres font semblant. Je porte sur le dos comme un vieux sac de ténèbres, un petit son de flûte dans la rumeur ambiante, un flacon d’aube dans la poche. Je préfère la bouteille d’eau cassée au milieu du désert à la coupe trop pleine d’un homme déjà saoul, la richesse du peu à la pauvreté du cœur. Il faut se méfier quand les pensées sont plus visibles que les actes. On se fait des idées et on pense qu’on pense. Qu’a-t-on fait du mot frère ? Qu’a-t-on fait du partage ? Je tends la main vers le bonheur comme une source vers la mer. Un tout petit brin d’herbe m’intéresse bien plus que tous les parlements, les banques, les châteaux en Espagne.

         Le style est le chien de garde du poète. Il jappe trop souvent en mordillant ma plume. Je laisse la parole au découvreur de monde caché dans mon armoire. Durant la nuit, les arbres se rapprochent et les montagnes grandissent. Quand je me lève au matin, ils ont repris leur place, les montagnes leur taille. Sur le fleuve des choses, je navigue amont la côte et le vent hissé haut pour ne pas perdre le nord. La vie dépasse la pensée à la vitesse d’un enfant. Les érables coulent. La fumée chante dans les cabanes à sucre. Le parfum de la sève me monte à la tête. Dans les cercles du sang, le cœur de l’homme bat de l’écorce à l’aubier. La vie et la mort couchent ensemble dans le lit de la terre. Leurs forces se confondent dans la rumeur des plantes et l’appétit des bêtes. Une seconde de beauté nourrit les heures creuses.

         Les arbres butent contre le ciel, faisant claquer matin une cymbale d’oiseaux. Les fleurs peu à peu sortent leur tête du dimanche. Le chien de l’aube s’éveille dans un désir de mordre. La chair de la pêche tient à la vie par le noyau, celle du réel par le rêve, celle de l’homme par le cœur. Je dévore des livres comme un ver d’oreille dans le bruit des moteurs. Les voix des hommes rapetissent quand un enfant grandit. Quand ils meurent, leurs paroles redeviennent géantes. Mère, la sueur à ma nuque me rappelle ton ventre. L’enfant plié dans une église est devenu voleur de pommes. J’ai les bras à l’affût, les mains en forme de bol. De l’ombre à la lumière, j’ai vécu plusieurs vies. Chaque phrase en est une. J’ai agrandi le temps dans la semaine des mots. Je tends l’oreille végétale. Les oiseaux dialoguent entre la terre et moi. On ne refuse pas un œuf qui éclot, la sève d’un bourgeon, un sourire d’enfant, une fleur sans fusil, une terre sans frontière, un pain de quatre livres attendant le partage dans l’ivresse de l’air. Le rêve et le réel existent dans la même substance.

 

Par la freniere - Publié dans : Prose

 http://lafreniere.over-blog.net

Publié dans Ils disent

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De moi à Sherlock

Publié le par Cheval fou (Sananès)

Mille excuses, encore une fois, j’étais parti sans même me laisser un mot. Une urgence : vivre ailleurs dans le cœur d’un roman, d’un conte de fée, d’un polar. Il me fallait suivre une piste et remonter l’intuition. Je suis parti habiter l’urgence, au cœur d’un continent incertain. Je ne choisis pas mon chemin, il m’appelle.

J’ai eu peur, j’ai eu froid, le monde est une machine terrible cernée par les frontières de l’insoupçonnée beauté et de l’effroyable cri de la souffrance.

Sans carte, sans boussole, sans projet, sans rêve, affamé de tristesse et d’espoir, je me suis jeté dans ce départ intérieur.

Capitaine de mes rêves, je suis un homme mineur qui creuse l’intérieur du cri. Sherlock Holmes des crimes de l’intime, je piste le silence, le casse, l’élime en copeaux de mots, le file en ligne sinueuse, en armées de phrases, de points, de virgules, et de fautes. Les pourquoi, les où va-t-on ? Et autres pitreries de la conscience inconsciente, je les enferme, les interne, les cloue sur des pelures de papier.

Est-ce grave docteur Watson ?

Je cherche l’opium des rêves, m’abreuve à l’héroïne des pensées. Je quête, j’enquête, traverse le film des jours, me pends au filin des heures, me perds au dédale des années. Je cherche la conscience, docteur.

L’assassin de l’ombre me guette, me détaille, me vend à la criée des désespoirs, un cheveu par-ci, un rêve par là.

Je me cherche docteur, dans mon incompétence à sauver le monde, à vouloir sauver l’amour et à distribuer le bonheur. Je suis ce que j’ai toujours été un homme d’ailleurs, un exilé. Il y a longtemps que me cherche. Je suis un apatride qui ne se reconnaît nulle part. Je cherche le royaume des frères. J’ai peur. Le cynisme et la haine sont partout.

Je ne sais plus combattre, le monde n’est plus à ma taille.

Je cherche mon pays. Ils ont tué l’enfance.

JMS

 

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Anniversaire de l'Abolition de l'esclavage

Publié le par Cheval fou (Sananes)

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Cie La Dégaine-Rêve :

Bruno Sananès - Ile Eniger - Manu Brun - JM Sananès

Publié dans Informations

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Colloque sur les Droits des Peuples dits minoritaires aux "Abattoirs de Toulouse"

Publié le par Cheval fou (Sananès)

 Chers notables,

À propos du colloque sur les Droits des Peuples dits minoritaires que vous organisez aux "Abattoirs de Toulouse", excusez-moi je n’irai pas, bien qu’à moi seul je sois une ethnie étrangère au monde, bien que je sois l’unique responsable et représentant de ma langue ; excusez-moi, je n’irai pas à Toulouse, je n’ai pas été invité !

Faut dire : à quoi bon parler !

Je ne me comprends pas toujours… et les autres donc !

Les autres m’ignorent ou se foutent de moi. Il en est même qui préféreraient mes silences ! Du haut de leurs verbiages et leurs langues de bois, ils me font la guerre et klaxonnent ou causent, et capturent les mots pour en faire du bruit. Derrière la barricade de mes charades, de mes sarcasmes, de mes poèmes tirés à boulets rouges, j’exhorte le silence à taire la clameur. Je suis l’intrus extérieur que l’on parque seul au banc de la société du tohu-bohu. Je ne veux plus qu’ils mettent le silence aux arrêts et le mot sous censure, et les langues… !

Les langues survivantes doivent armer leur syntaxe car, eux,  préfèrent les langues mortes, sans exigences, sans peuple, sur des territoires apatrides et à prendre pour y jeter leurs onomatopées, leurs lexiques commerciaux, leurs friches linguistiques, leurs montres digitales, leurs barbelés et leur économie. Il leur est nécessaire d’apprendre à ne pas comprendre les gens pour être aptes à les mépriser et les rendre inexistants.

La grammaire dehors, disent-ils ! Car la grammaire c’est l’histoire des peuples !

Le mot est une arme insoupçonnable. Il leur faut tuer le mot, pour avoir des hommes sans voix et des peuples sans âmes, sans couleurs, sans idées, sans revendications. Ils arment de leurs censures, de leurs chahuts et de leurs bêtisiers, les télévisions, les radios. Ils ferment, privatisent les écoles, les usines à réflexion, et vive le ballon rond, le ballon de rouge ; les agitateurs au ballon ! Ils veulent des républiques et des peuples de veaux, la poésie à la poubelle et le reste au musée des cultures incalculables !

Mais on s’habitue à tout. À l’école déjà, je fréquentais la dyslexie et le banc du fond. Encore maintenant, j’écris dans le silence. Pourtant les mots de ma langue crient et s’insurgent.

… Mais que le temps passe vite, des Arts déco de la rue Tonduti, bien loin de l’Escarène, à maintenant. Pourtant, dans mes silences verbeux, je me parle parfois avec le désuet accent de la sincérité ou l'accent grave, d’autrefois, dans le patois de ma mélancolie, ou dans mon dialecte identitaire essentiel, celui de la folie. Mais au matin, quand ma tête s’agite, quand le jargon des mes insomnies fait du blanc dans ma nuit, j’apprends les langues absentes ; je veux devenir Jivaro et lancer à la volée des flèches puisées dans mes gibecières de mots, tirer des balles venues de mes cartouchières à jurons, plomber la bannière étoilée, lui retourner son rap et ses buzz. Je veux parler à Rimbaud dans une langue ancienne que la connerie censure, et si NTM a de la peine, ça fera rire les étoiles... Et Dieu s’en fout.

JMS

Publié dans Coups de gueule

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Je me demande

Publié le par Cheval fou (Sananès)

Parfois je me demande pourquoi

Dieu créa le temps et tous ces contretemps où mon temps se perd

je me demande pourquoi la parole donnée et la parole perdue

je me demande pourquoi

ma mémoire et tous ses trous où se perdent mes mots.

 

J’attends que les étoiles me parlent

j’attends les cascades de sucre emplies d’avenir

j’attends que les enfants ne soient plus fusillés

par la faim, par la guerre.

 

J’attends l’amour plus fort que le canon.

 

Parfois je me demande pourquoi

Dieu créa le sens et tous ces contresens où ma raison se perd

je me demande pourquoi

ces amours éternels que la nuit emporte

pourquoi le rire, pourquoi la larme, la vie et la mort.

 

Tout m’alarme

le fini et l’infini

le bruit des matins sur les chants d’oiseaux

le dernier crissement de ma jeunesse sous la cicatrice de l’âge.

 

J’attends l’amour plus fort que la raison.

 

Tout m’alarme

de tout temps j’ai aimé les sens uniques et la parole droite

les promesses jamais reprises

et l’espoir comme une caresse heureuse

à jamais posée sur le labeur du jour.

 

Tout m’alarme

j’attends que les étoiles me parlent.

JMS - Extrait de "Dieu, le silence et moi" - Editions Chemins de Plume

Publié dans Dieu le silence et moi

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