Jean-Marc La Frenière
Les menus riens (extrait)
Pour trouver, il ne faut pas chercher, mais aimer, de la graine à la pomme, de l’argile à la tasse, de la mer à l’oiseau, de la mère à l’enfant, de l’atome à la vie. Le paysage coule par les yeux et inonde l’oreille. En regardant les arbres, j’imagine le cheminement de la sève, des racines aux embranchements du tronc, les sentiers sous l’écorce, les routes sur les feuilles par où la chlorophylle vient livrer sa lumière. Du cynisme des épines à l’orgueil des fleurs, chaque arbre a son caractère. Il transparaît dans l’écriture des fruits, l’akène qui tournoie, le gland qui tombe dru, la pomme qui rougit, l’embonpoint de la poire, la douceur de la pêche, la dureté de l’olive s’attendrissant avec le temps, l’amertume du citron, les rides de la figue, la cerise offerte au bec des oiseaux. J’ai toujours voyagé dans ma tête, avec la musique qui met l’âme à l’envers, les patois qui patinent le temps. À six ans, je dessinais des routes dans mon carré de sable. Je sautais à cloche-pied des lignes imaginaires. Je reliais entre eux les craques de trottoir, le pointillé des pas, le sillage des oiseaux. J’ai appris très jeune à galoper sans peur sur les chevaux de la langue. Plus tard, j’ai traversé tous les États-Unis, à pied, à l’encre, en autobus, en train. Je vis. J’écris. Je n’oublie pas l’enfance. J’ai très tôt pris le parti des humbles. À la table des riches, je ne souris qu’aux chaises.
Publié le 23 décembre 2015 par Jean-Marc La Frenière
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