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Vous étiez 70 et c'était la guerre

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

 

Nous sommes en ce jour où rien de particulier
n'aurait dû me guider vers cette vieille archive de famille.
Pourtant je suis là, face à vous
56 visages distraits ou attentifs, à faire bonne figure.
C'est la banale photo-souvenir qui demain
donnera des nouvelles à la femme, aux enfants, aux parents.
C'est un dernier écho de vie avant le feu,
la banale photo-souvenir qui figera demain l'image des disparus.
Vous êtes là, 56 hommes, mains nues,
promis à la ligne de front, qui attendent leur destin.
Vos cœurs, vos rêves, vos amours, sont en absence,
l'espoir en parenthèse.
Au 1er rang, la hiérarchie, 14 hommes.
Sous les képis, l'inquiétude, l'étonnement, la consternation,
sur la droite, l'un d'entre eux pose pour la postérité.
Devant vous, les 14 gradés, mains gantées de cuir noir,
qui vous mèneront à la boucherie.
Je scrute cette page retrouvée au carnet des oubliés,
Grand-Père y es-tu ?
Je crois te voir, tu es le seul qui a l'air amusé par cette mascarade.
Vous êtes 70 en attente de rien,
arrimés à un espoir de vivre
quand l'Histoire vous offre la mort,
le Chemin des Dames,
des noms sur le marbre des monuments,
et combien d'enfants jamais venus au monde ?
Et combien de femmes laissées aux larmes ?
Tu as survécu Grand-Père,
Vous étiez 70 et c'était la guerre.

Un siècle après, cette photo me fait mal,
les hommes font la guerre
sans jamais partir à la conquête du meilleur.
Tu le savais Grand-Père,
les médailles n'ont pas d'âme,
elles ne sont que la blessure des vivants.

Et je suis là, en ce jour où rien de particulier ne se passe,
en ce jour où, encore et toujours, des hommes meurent de faim
quand d'autres cultivent la haine et le couteau
sans rien connaître de l'amour.
Les religions et le capital se gavent des douleurs du monde
et je suis las.

JMS

 

 

 

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L’espoir

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

L’espoir
L’espoir est une fleur africaine
les fourmis européennes l’ont détruite
avant même que je ne sois adulte
On nous a fait un culte
où tout espoir est adultère
en ce sens qu’il est à ceux
qui n’en n’ont pas besoin
L’espoir est une fleur eurasienne
les fourmis américaines l’ont détruite
avant même que je ne sois adulte
Les enfants des autres sont crasseux
et peuvent vivre sans soins
mais ils connaissent la fée Carabosse
les nôtres jouent à la guerre
nos enfants connaissent le Bien :
il est fait de nos actes
Eux, ont des maladies de chiens
la misère est une maladie atroce
ses symptômes sont la faim
la crasse, la saleté
et le refus de contacts
Nous fuyons ces hommes d’un autre âge
qui cultivent le désuet et le rêve
nos fusils meurtrissent leurs présages
Pourtant certains d’entre nous
sont frappés d’un mal étrange et dangereux
le remords
mal déraisonnable et hideux
il est la fleur des fous
Ici on le soigne à grands coups
de comment, de pourquoi, de TV-lavage
et de drapeaux music-déballage
Ceux qui ont l’âme sale
inexorablement en crèvent
la Loi est implacable
la Loi est anonyme
L’égalité est une fleur fanée
elle est zéro et je dis que le zéro
n’est que relatif, Avogadro
n’a rien inventé, il a constaté
En un lieu et une place
se trouve au moins le vide
et le vide est notre essence
nous n’avons plus besoin d’alibi
nous avons notre hymne
il est international
il nous invente une conscience
à chacun sa place
et que chacun y reste
si j’y suis
bien loti
L’amour est universel
ils n’ont qu’à le partager
nous garderons les armes et le reste
cette convention est mondiale
Nous avons tiré la leçon du missel
notre loi s’apprend au pied du bûcher :
nous vous imposerons notre façon d’aimer.

JMS Un texte des années 65

In "Cheval fou" et dans la compilation "Chemins d'étoiles"

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C'est un

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

C'est un homme d'envers
aux mains de colère déchirée,
un enfant qui voudrait inventer l'espoir,
un qui harangue le ciel, la terre et le destin, à l'usure des utopies.
C'est un, qui, à l'heure des victoires du mâle
voudrait tuer tous ceux par qui le désespoir arrive.
C'est un goéland d'enfer quand le ciel s'efface,
une joie sombre de volubilis autour de mots de sang,
la jeunesse d'un cri fusillé à l'agonie du poète,
un soldat malgré lui qui s'éteint,
un hier qui égare ses lendemains,
une épée brisée dans un combat inutile,
un ouvreur de paix sans clefs d'avenir,
l'image d'un rêve qu'on ne reverra plus,
une faim de vivre qui ne trouve plus son chemin,
deux hommes perdus assis sur un banc
à l'heure des : "T'en penses quoi ?".
C'est un homme de feu, capitaine fantôme toutes haines fermées
jetant ses armes loin des gagne-médailles et des vies volées.
C'est, au feu de l'inquisition, l'accusé croyant encore à la raison,
le cerf blessé espérant l'humanité,
un combat d'ailleurs,
une rivière d'eau pure sur le sel et la blessure,
un espoir qui viendrait à la vie,
un matin vierge qui attend la Conscience.
Jms 20/02/21

 

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Est-ce grave docteur ?

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

J'arpente le moment,
le traverse comme une question
est-ce moi qui écris ?
J'ai peur d'être un petit gros analphabète et possédé
qui s'agite sous la plume d'un autre.
Quatrième neurone à gauche
y a-t-il quelqu'un qui parle plus fort que moi ?
J'ai peur de ne pas être qui je suis.
Je pourrais être marchand de loukoums
portier de manège et faire des courbettes
sous le regard d'un cheval de bois
avoir été transmuté en escarbot bancal
par une fée mal lunée
me faire marcher dessus
par un ciel si haut
que je me serais senti infime
marcher à genoux…
mais allez savoir pourquoi
j'ai l'encre ventriloque
j'écris avec mon âme
quand mon cœur s'emballe.
Est-ce grave docteur ?

JMS

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L'homme n'est-il pas la somme de ses poèmes ?

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

Il y a, en moi, des mots et des images-mantras mariés à mon âme.
Cinq heures du soir* résonne dans mon sang*
comme ce Il dit non avec la tête  ou,
ces plongeons rentrés* qui parfois me font ignorer le danger.

Les mots qui m'ont enfanté sont puissants comme la mémoire.
Je cherche un père,
Est-ce toi Lorca, toi Aragon, toi Rimbaud, toi Camus,
ou toi, Prévert, qui enchanta mon enfance ? *
Pourrais-je vivre sans un peu de Neruda dans mon sang ?
Quel est cette chaise*, ce cri*, ce dormeur*, devenus images
qui imprègnent mon univers et m'interpellent ?

Pardonnez, amis, si je me shoote davantage à la poésie
qu'aux Te Deum, parachats ou sourates,
pardonnez, Frères Humains*
j'aime la vie et ses peuples :
mes frères primates, l'herbe et l'insecte,
j'aime tout ce qui porte l'espérance de vivre.

Pères, je pleure sur l'inculture de ceux qui vont,
couteau à la main, souiller le sacré du vivant.
Est-il pire crime que de vivre sans aimer son prochain ?
L'homme n'est-il pas la somme de ses poèmes ?

* Ce fut en avril à cinq heures (Louis Aragon) - * Au Cabaret Vert, cinq heures du soir (Arthur Rimbaud).- * Les plaies brûlaient comme des soleils à cinq heures du soir (Federico Garcia Lorca) -* Les plongeons rentrés laissent parfois d'étranges courbatures (Albert Camus) - * Il dit non avec la tête, mais il dit oui avec le cœur (Jacques Prévert) - * Si Je meurs et si tu ne meurs pas (Pablo Neruda) - Le dormeur du val (Arthur Rimbaud).
* La Chaise de Vincent van Gogh.- Le Cri de Munch

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