Nimrod Prix Max Jacob
Je dirai leur charme naturel
Je dirai leur climat
Je dirai leur douceur de rosée
Je dirai la grande rosace
Et sa fraîcheur termitière
Je dirai la région divine en elles
Car des bondieuseries occupent nos têtes
Mais le paysage n’en a cure
Il n’est même pas païen
Il n’est même pas chrétien
Et pas même musulman
Il est infini à la mesure
De l’amour qui nous consume
Vivre savamment
Mourir avec le sourire
Quelle rime triste
J’éclaterai ma tête contre leurs bons mots
Eux qui m’ont dépouillé de tout espoir
De toute quête
De toute métaphore
La poussière l’océan les étoiles
Ulysse Aladin Niels
Les rivages les côtes l’horizon me sont refusés à jamais
On ne me dira même pas Juif errant
Ni coolie indien ni sale Chinois
Je suis la dernière figure de l’homme
Je suis le trépassé de Lampedusa
Je suis le fusillé de Ceuta et de Melilla
Je suis le naufragé de Gibraltar de Malte de Sicile
Je suis le vendeur à la sauvette de Rome de Venise
De New York et du Trocadéro
in Babel, Babylone, Obsidiane, 2010 (Prix Max Jacob, 2011)
Pour ceux qui ne le connaissent pas, à découvrir
Je suis fatigué
Je suis fatigué
de ces religions qui gèrent le crime et la mort
quand il leur faudrait enseigner le pardon
la raison et nous apprendre à vivre
Je suis fatigué de ces déments
qui massacrent le patrimoine de l’humanité
quand il leur faudrait planter le blé
Je suis fatigué par tous ces Présidents
spécialisés en gestion de statuquos
Je suis fatigué d’entendre des philosophes
promus Pères la Défaite
Je suis fatigué quand tous ces marchands d’excuses
disent que l’on ne peut plus changer le monde
Je suis fatigué d’écouter tous les émasculés de l’espoir
clamer qu’il nous faut attendre demain
Je fatigué devant les prophètes du capitalisme
jamais rassasiés de se goinfrer
qui demandent toujours plus et plus
et donnent de moins en moins
Je suis fatigué de la résignation
de ceux qui mangent leur restes
Je suis fatigué de ces politiciens du fric
insatisfaits de savoir qu’ailleurs
on saigne mieux le bétail
Je suis fatigué de voir tant de moutons
s’entasser dans les urnes de la peur
Je suis fatigué d’attendre
que le rêve revienne
pendant les rebelles enterrent l’Utopie et l'Amour.
JMS
Tu es parti, mon père
Tu as posé tes douleurs et…
Tu es parti, mon père
Parti dans l’ombre des nuits et d’un vent
Où l’oubli bâtit l’incognito des morts
Parti en ce non-lieu où le silence enterre ses ombres
Et pourtant, mon père
Si les millions de morts qui ont chanté fleur au fusil
N’habitent plus que la grise odeur du désastre
La voix de Dano reste assise près de moi (5 heures du soir de F Lorca)
Et tant de mots hantent encore la mémoire des hommes
Et pourtant, mon père, tu vis
Parce que tu m’as légué ton cri
Et cette besace à mémoire si lourde à porter
Les tueurs d’humanité le savent bien
Eux qui détruisent la mémoire des pierres et des livres
Eux qui continuent à semer la mort
Rien n’a changé, mon père
Où que j’aille
Les grands mensonges vivent de silences orchestrés
Le chahut squatte la conscience
Où que j’aille
La propagande fait des sourds et des aveugles
Les puissants sont des jongleurs de vérités
Les larmes et le sang n’existent plus que pour ceux qui le versent
Tu le sais bien mon père
Le monde n’est que parce que notre mémoire le dessine
La Vie est à la dimension du regard.
Certaines amours meurent de n'être pas dites
Ni l’étoile ni le ver de terre n’habitent les consciences aveugles
Mon père, tant de drames dans ta besace
Tu savais que vivre c’est aussi habiter ses mémoires
Je n’oublierai ni l’étoile ni le ver de terre
Je sais que nos ombres agrandissent l’univers
Aussi longtemps que je marcherai
Je porterai ton nom, mes morts
Un chat, des joies et des douleurs d’univers
Je te porterai
Aussi loin que vivre.
Un chat dans la tête !
Très souvent, mes yeux se plissent, une brillance malicieuse s’en échappe avant même que je sache qu’une histoire saugrenue me parcourt.
Mon chat, comme d’habitude, est assis dans ma tête à guetter le moindre rêve, le moindre délire. Il est là à regarder le même nuage que moi, un petit cumulus gris et triste qui a choisi de s’élever tout en haut du ciel. Faut dire qu’en bas, il y a pire que la valse noire des fumées et des cumulus-nimbus à la dérive, bien pire que la désespérance d’une ville déprimée qui ronge ses couleurs. En bas, il y a des passants vides qui traversent leur vie sans jamais voir le soleil ni tout ce que voit mon chat. En bas, il y a un monde enfermé dans la grande salle des pas perdus où des voyageurs sans boussole croisent leurs solitudes sans jamais regarder la course folle des nuages lancés à la poursuite du temps. En bas, ils ne sentent rien de cette odeur qui interpelle mon chat et l’inquiète. Ils ne savent rien de cette frayeur miaulée qui déclare que les nuages sont en feu et que le ciel s’abîme. Mon chat est perdu, il n’est plus dans sa sieste, il n’est plus non plus dans son assiette, sa gamelle est vide, l’amour se dépeuple, les étoiles se font la belle, les souris courent trop vite. Mon chat se sent seul. Il grommelle, interroge en de pathétiques miaous : où sont les pompiers du ciel et les faiseurs de pluie ? Je ne sais que lui répondre. Mon mutisme l’agace, je suis fatigué, épuisé, j’ai un chat dans ma tête, un autre dans la gorge, un chagrin qui passe, je joue à chacun pour soi.
Je ne vais quand même pas passer ma vie à parler avec un chat !
Ce crime de lucidité et mon manque de compassion me déçoivent tellement que je me fâche avec moi, que j'éteins tous mes rêves. Mais ce qu’il y a de terrible quand je me fâche avec moi, c’est que je me retire de moi-même, de l’univers aussi, et cela mon chat le sait. Pourtant, je consomme la rupture. Elle est compacte et terrible comme une porte fermée dont j’ai égaré la clef. Je me perds de vue, j'en arrive à me croire si seul que je ne me parle plus, plus du tout, si bien que parfois je m’ennuie. C’est effrayant de se déserter quand on est un homme de l’intérieur et que personne ne vous voit !
Quand j’ai du chagrin, c'est ainsi, mon chat s’endort et les étoiles disparaissent, tout le monde s’en fout, et moi aussi !
JMS
Dans l’alphabet des jours
Il y eut une époque où j’avais égaré les clefs de ma vie ; en ce temps, j’ai travaillé et attendu que ça passe. Il arrive que la vie ressemble à ces matins que l’on pose sur des monceaux de jours et que le temps déchire. La vie c'est comme le café, c'est quand il est passé que l'on sait s'il est bon, bouillu, ou foutu.
L’autre nuit, je me suis réveillé, j’avais perdu trente ans à vivre des années mensonge. Trente ans ça fait long pour un temps si vite passé. L’horloge biologique a couiné trop tard, un cri de genou par-ci, une adresse arrachée par-là, un numéro gommé, des vies qui viennent, des vies qui partent, ce chat qui hante mon sommeil, et les nuits qui s’attardent. Il est des moments où l’essentiel s’étiole au cœur de la banalité. Et on te demande de croire aux habitudes, de te nourrir du quotidien ! Il est des temps où tu oublies de vivre.
Mais tes rêves ?
Mes rêves, je les garde au cœur pour être un homme debout.
Il y a longtemps, quand la jeunesse m’avait mis en quarantaine, je chantais encore mes vingt ans, mais maintenant, que chanter ?
Parfois un rire m’enchante, il a 8 ans et pas toutes ses dents,
d'autres fois les dizaines se cumulent et l’on a plus toutes ses dents.
Le miroir m’effraie.
Pourtant je me fraie un chemin, j’avance au cri des crécelles, j’habite les jardins de la marge. Je ris, j’avance, j’attends ces lendemains où galopent les souvenirs, je lessive les rancunes car le malheur est fidèle à ceux qui le chantent. Je ne ressasse rien, hier n’est pas demain.
Si chaque jour je renais dans la chaussure de mes mots c’est que demain reste un mot du futur.
Je ne vais plus au miroir pour me voir, j’y vais pour rechercher celui que je serai.
Mes yeux, s’ils ont fermé mes vieilles douleurs, n’ont rien oublié de ceux que j’ai aimés, rien des rires d'enfants sur les chemins qui vont. Je les parcours en sautillant, je m’y prélasse, je m’y attarde, m'y reconstruis. Je recrée un monde de soleils, de petites joies et de caramels mous. Je parle à mes mots sans dictionnaire, je les veux nus, simples comme le regard des pauvres gens car nul ne me ressemble plus. Fini l’orgueil, j’ai appris à pleurer, à demander sans exiger, j’ai appris à aimer sans vouloir de retour.
Il m’importe moins d’être que de vous savoir là. Je ne suis qu’une nuée de mots que la rumeur boira jusqu’à ce que le vent m’emporte.
Si les passions sont belles dans l’alphabet des jours, si elles sont douces-brûlantes au registre des mémoires, c’est aux blessures que l’on apprend que le précieux n’est pas dans le feu mais dans les cendres chaudes de fins de journées, là où les mains et les cœurs se réchauffent aux rires d’enfants. Le reste n’est qu’embrasements, rien de durable pour le bonheur de vivre.
Seule la tendresse me rend la vie indispensable et si je ne suis qu’un homme qui passe, je sais qu'elle seule bâtit l’amour.
Je sais, quand tout s’en ira, il me restera encore la mémoire d’un chat.
JMS
Je pense à toi Bob Kaufman
Les crimes courent
A la Une des journaux
Sur les fronts de la honte
Et nous nous agitons
Et nous pleurons
Nous
Dans la cohue des clameurs
Nous les matamores du virtuel
Les trapézistes du Net et pas net
Nous nous épanchons
En syntaxes dégoulinantes
Sur cet univers proxénète
Nous pleurons
Nous hurlons
Et regardons passer le crime
Je pense à toi Bob Kaufman
Ton cri comme un couteau en moi
Tes mots klaxonnant des clameurs de poivre
Dépeçant le silence noir des aveugles
"Quels sont ces sauvages qui écoutent du jazz
quand il y a tant de tueries à entreprendre", disais-tu
Et moi j’y croyais reconnaître
La douleur d’une enfance arrachée
Sur un quai d’Oran
Encore je crie
Dans un silence éreinté
Je murmure
Notre cri
Mais va-t-il assez loin ?
Saurons-nous crier plus haut que les balles
Plus fort que le silence
Plus loin que l’avenir ?
Dans les rires qui viennent
Ailleurs
Il y a du soleil
Un bruit de larme
S’étouffe
Une larme que l’indifférence
spolie de sa matière.