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Vampirella et Moi

Publié le par Cheval fou (Sananès)

Dans un instant de panique léthargique, cette gourde m’affirma qu’elle n’était pas cruche. Elle n’en était pas moins outrancière, des flots de larmes et des trémolos mêlés à des torrents de mots coulaient à flots. Désespéré, je cherchais des chemins d’escampette, un point de fuite, une ligne d’horizon à poser sur ses vagues à l’âme. J’avais atteint les frontières vaseuses de la désillusion, l’outre était pleine, la coupe débordait, mais rien n’altérait son flux verbal, aucune vanne ne l’affectait, elle gardait son plein débit. Grand-mère eut dit qu’en dépit de sa taille, elle contenait le litre. Encore et encore, il pleuvait du verbe et des mots. Moi, je me noyais dans une lavasse de paroles indistinctes, j’en avais jusqu’à plus soif. J’étais imbibé, mais parlais d’une voix sèche. Elle voulait couler des jours meilleurs, prétendait ne jamais me laisser en carafe. Le naufrage était bruyant. Elle avait étanché mes certitudes, épongé ma dernière larme, éteint la dernière flamme, noyé mon chagrin, mis de l’eau dans mon vin. Elle m’avait liquidé, j’avais perdu ma poésie et mon dictionnaire de rimes. Je rêvais de mers et d’océans, de déserts et de solitude entre nous. Ne me demandez pas pourquoi je n’aime ni l’eau ni ses contenants. La dynamique des fluides m’inquiète. Il m’arrive d’être imbuvable.
JMS - In : "Derniers délires avant inventaire" - Editions Chemins de Plume - 12 Euros

Publié dans Textes de JMS

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Lettre à ma petite-fille

Publié le par Cheval fou (Sananès)

Tu as pris tes yeux en rond, tu t’interroges. Qui es-tu, me demandes-tu ?
Ah ! ah ! je m’inquiète, ta question m’inquiète, elle pose problème…

 

Je ris, je galège comme on dit ici. Toi, tu te demandes, tu m’évalues.
C’est étrange, je suis le problème, et tu es la question.
Tu me toises. Dans ton regard une suspicion amusée, un éclat de curiosité insensée, et des étoiles. Je n’appartiens à aucune espèce référencée. Les vieux gamins n’existent pas, enfin tu le crois et tu demandes.
Autant me demander le poids du vent, la couleur de l’amour, la durée du jour, la densité de l’attente, ou comparer l’hélium et la tendresse.
Question folle, immense, démesurée comme la candeur de tes certitudes, de tes peurs. Je suis du royaume du loup et des fées, je connais l’arbre à bonbons, le pays des fourmis roses. Je suis le vieux gamin fou, celui qui sème du doute et du jeu dans tes certitudes. Que pourrais-je te dire d’autre, moi qui n’aime que le vin, l’amour et l’amitié. Moi qui crois que l’amour et l’amitié se jouent de la raison. Moi qui t’aime sans but, sans intention. Je suis un animal qui se nourrit d’instinct, moi qui aime sans raisons, moi qui crois, à tort et à raison, aux vérités instinctives.
Rien d’autre que la taille de tes yeux, la couleur de tes larmes, et ma douleur quand tu pleures. Tu es la frontière brisée, celle que je franchis par sourire et par cœur. Je suis le vieux gamin qui veut du pain, de l’amour et de l’amitié. Le vin n’est là que pour la musique des mots, pour la couleur de l’instant, mais je pourrais t’aimer sans vin, sans pain, sans rien, nu et infirme, comme cette mer de dunes, comme ce désert qui se souvient de l’eau et qui regarde encore le futur.
Tu ne sais rien toi, tu arrives. Tes yeux en rond m’interrogent et je voudrais te parler du goût de la vie, de l’amour, de l’amitié, des fées et des canards roses. Mais comment te dire que rien de ce qui est important ne s’explique, comment te dire que mon chat m’aime et que j’aime mon chat. Pourtant, mon chat me préfère le soleil et donne ses ronrons au vautour d’en face, un tartuffe qui l’achète avec une ration de pâté…
Comment te dire que rien d’important n’est à hauteur de raison. Quand je coupe mon pain en quatre pour nourrir mon chat, ça ne l’empêche pas de rêver, d’avoir des mains griffues, ou d’avoir froid.
Comment te dire qu’on n'est riche que de ce qu’on aime. Je suis riche de toi, de mon chat, de l’amour et de l’amitié, du vent et du passé, de rien qui soit à hauteur de raison. L’amour et le bonheur sont des constructions imaginaires, bien plus réelles que le réel.
Tes yeux en rond m’interrogent. Et je ne sais que te dire sinon que je viens de loin. J’ai la tristesse et la joie consanguines, je ne suis pas un homme standardisé. Même quand il fait beau j’aime mes amis, les gâteaux et les épreuves.
J’ai fait ma route et tu arrives.
Dans mes lointains, Grand-mère disait "la pluie n’irrigue pas tous les champs, le désert n’est pas loin". C’était un temps de palmiers et d’enfance, j’avais du rouge dans mes cahiers et du bleu sur le cœur. Grand-mère disait aussi "le bon vent ne porte pas que l’odeur des roses". Et pourtant je ne peux vivre sans respirer, sans rire, sans partager.
Tu me demandes qui je suis, comment faire, comment vivre… mais je ne sais rien ! Les chats malades et les comment faire me persécutent. Chaque jour je vieillis et ma porte s’ouvre moins grand. Pourtant, aujourd’hui, je vois mieux mon étroitesse, mon ventre rond, mes cheveux de sel, j’ouvre plus grand les yeux. J’ouvre plus grand le cœur. Tes yeux en rond m’interrogent. J’ai fait tout ce chemin et je ne sais que te dire.
Moi qui t’aime sans but, sans intention, je suis un animal qui se nourrit d’instinct, un animal qui aime sans raisons et qui croit, à tort et à raison, aux vérités instinctives.

JMS - In : "Derniers délires avant inventaire" - Editions Chemins de Plume - 12 Euros

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