Ile Eniger
Ile Eniger - Un cahier ordinaire
Aucune nuit n'est plus large que le rêve
JMS
Des bombes… des généraux… des intégristes… !
Mon chien s’inquiète
Qui gardera le rire si les hommes disparaissent ?
Laisser le silence délayer l'encre
Laisser la plume gémir sous l'arrête d'un cri
Traverser le jour ou s'arrêter
Vivre et le dire
Laisser le verbe pendu au gibet des non-dits
Utile inutile ?
Laisser mourir le papier
Au silence des yeux étrangers
Aux griffes de l'indifférence
Laisser le parchemin danser à la valse du feu
Épuiser l'air qu'on respire et l'encre qu'on expire
Le silence est-il plus complaisant que la parole ?
Je suis un architecte de l'ombre
Je mets mon âme en papier
Cri muet, pain laissé aux oiseaux
Écrire n'est-il pas un don aussi silencieux
Et gratuit que le pain laissé aux oiseaux ?
Utile inutile ?
Si les oiseaux se taisent
Doit-on condamner le moteur transparent
qui pousse la main et le geste ?
Si l'ange ne voit pas ses ailes,
ce n'est pas grave la valse continue.
JMS - In "Plus frère que frère" - Editions Chemins de Plume - 12 Euros
rien à enfouir
mon visage dans mes mains
les moments où voir
les manières de voir
enserre large
desserre ce qui se défait
t’adoucir à ce qui se laisse deviner
désirer
toucher re toucher
où se décante
ce que tu relis
dans le sommeil du trait
(21 janvier 2009)
© Nathalie Riera
Printemps des Poètes Berlin
Anick Roschi (Allemagne)
La mer étamée, comme un océan de quiétude et de candeur avant la tempête, après la furie des éléments. La mer apaisante, amène, qui reflète enfin les ciels que l'on peut toucher et caresser à satiété, tous les deux...
La mer immobile, où le couchant invite l'Orient et promet la réconciliation des jours grimés, salis, meurtris.
Une mer d'huile, oublieuse, pour invoquer les semailles d'une rencontre et la récolte des songes !
Et puis il y a la mer secrète, qui s'enroule autour d'un rêve bleu et meurt solitaire, cachée...elle égrène la noce des gouttes d'eau, l'harmonie des flots voyageurs, au fil de l'écume féconde et lascive des vagues .
Mais dites-moi, quel est le souffleur de verre, qui est le magicien qui enivre et délie ces volutes de cristal sous un
dais d'azur ou de velours , qui joue avec la beauté et les pensées de ses yeux émeraudes, qui rêve à ciel ouvert l'existence, l'extase palpable de l'instant ?
Une vague s'est élevée, une lame s'est ourlée puis dissoute comme une vague illusion, un vague à l'âme.
A chaque fois, je devine en elle le regard mystérieux et doux de la prairie ondoyée qui me convie et me reçoit, je sens peser alentour la vérité intangible de l'orbe fœtale, de l'ellipse, et dans le cercle fluide et ovale, au terme abscons du voyage de l'eau, je loue la renaissance immuable de toute chose !
Au milieu des perles d'eau précieuses, des larmes de la terre, du sanglot et de la joie silencieuse que la mer toute entière
dissimule et blottit en son sein natal, je contemple le miracle de la création, je redoute aussi le silence et la puissance aveugle des abysses consternées d'histoires.
Mais je vois surtout l'humanité s'abîmer lentement, qui s'éloigne irrémédiablement de notre Mère originelle...
Je suis la vague qui ploie, lourde et lasse, comme parvenue au soir de la vie, à naître encore et toujours, qui danse éperdument la lyre sacrée de la mer, pour que coule en moi, inextinguibles, le verbe et l'esprit de l'eau ...
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CRISTIAN-GEORGES CAMPAGNAC
sur http://emmila.canalblog.com
Quand la nuit s’entrouvrit, des corps de rêves déchirés comme les bulles d’un vieux bonheur s’échappèrent du champagne pour aller si haut dans les jardins où l’on rit à chaudes larmes que seul resta le cauchemar.
Je ne mange plus de chocolat, je ne regarde plus le lilas, j’ai fermé mes cahiers de rire, mes cahiers d’écrire, mes cahiers d’espoir. J’écoute à Radio la Vie, une comptine pleine d’entrain : "Marche avec le mangeur d'âme, marche avec le banquier, marche avec l’entrepreneur, écoute le président…". Il est tard pour rêver et la nuit s’entrouvre. Il est tard dans le monde, l’avidité a fait ses lois et la nuit monte. J’entends s’évaporer le corps des rêves. À mes pieds, seul reste le cauchemar posé sur la plainte aiguë du jour. Des cris d’enfants interrogent l’avenir. La terre gémit d’un curieux bonheur, c’est un bonheur de porte qui grince, un bonheur carnassier, puissant, souriant et repu. Plus rien ne va et cela comble la horde des banquiers, la horde des multinationales, la horde des présidents...
L’opulence du plaisir, l’opulence de la richesse, ricochent sur la patinoire des luxures. La pute et l’or se côtoient et l’une et l’autre en demandent plus encore. Une clique cannibale, affamée de terre, de béton, de devises, d’ivresses et de pouvoir, proclame que c’est l’heure du carnage. Les mangeurs d’âme passent à table. L’auberge s’appelle "La demeure du chaos", on y enterre des amours apocryphes et un ange au sang de grenade ; on y oublie un vent aux odeurs de jasmin.
Face aux mangeurs d'âmes, rien, sinon un ange hypothétique et de pauvres bougres qui vendent leur âme et gémissent leurs pathétiques jérémiades pour du travail, pour le pain et pour le droit d’aller à demain. Au menu, on brade des âmes de travailleurs, de fonctionnaires, de chômeurs, de petits commerçants, de bergers. On damne, on condamne dames et enfants. Âme après âme, sans ramdam, on mange des âmes noires, des âmes blanches : dix fois dix âmes pour le banquier, dix fois cent âmes pour l’entrepreneur, dix fois mille âmes pour une multinationale, des millions d’âmes pour la bourse. Il faut asservir, manger goulu, tuer des âmes et ne pas laisser traîner de corps et de paroles libres sur la voie publique. Mille malheureux pour un qui damne. Le salarié sauce "subprime" ou la salade crédit à risques, vous connaissez ? Monsieur le président nous fera bien une guerre ?
Face à eux l’ange hypothétique n’a pas d’armes, il distille la raison, boit d’étranges liqueurs et rit sous son blanc manteau, rit de toutes ses larmes et d’une mémoire de plomb et d’épines.
C’est une heure d’horloge éventrée, il est cinq heures. C’est un temps à pleurer. Sur le fil du rasoir, je me souviens de mon ultime visite au rêve, un vendredi où les danseuses de l’impossible jonglant avec le bonheur, avaient brisé les diagonales de ciel. Une pluie de musiques jamais cartographiées avaient alors froissé d’infernales images et des rires d’enfants soldats.
Ce jour-là à 5 heures au Grand Théâtre, devant une chorégraphie d’hommes écartelés, les mangeurs d'âmes ont bousculé les tabous, expurgé les dictionnaires, banni les mots de l’amour, les mots de la fraternité, les mots du droit au travail, les mots simples, les mots vrais du partage et ceux de l’égalité. Ce jour-là à cinq heures, ils ont chanté l’impératif et les mots du pouvoir, érigeant un ordre soumis à la force et à l’ambition. Ce jour-là à cinq heures, ils ont créé un monde où les âmes n’auraient plus leur place et les ont remplacées par des monuments qu'ils ont appelés Wall Street, Cac 40, Nasdaq, Dow Jones -NYSE, Euronext…
Depuis, l’ange hypothétique est vaincu. La horde des mangeurs d'âmes festoie.
Je reste nu dans les déserts du rire, il est tout juste 5 heures. Je ne mange plus de chocolat.
JMS
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