Je remonte la rumeur, je descends la rue, c’est une odeur de déjà vu.
Je baisse. Faut dire que je ne suis qu’un personnage à la gomme, pas tout à fait fini, tant le cumul des jours, m’écrase, m’efface, me triture, me rature. À l’Est l’horizon décline et le Sud se brouille. Ma feuille de route se grise. J’ai perdu le Nord, je ne compte plus mes fautes. Depuis des siècles et trois minutes, je suis entré dans le silence. Longtemps, j’ai cherché la lumière, la sortie, le vent, la pluie. La brume fut intense. Faut dire que nul n’est à l’abri des poussées d’ego, des éclats de vie.
Faut dire que je ne compte plus pour grand monde, je ne fais d’ombre à personne, je suis transparent. À reculons, je traverse les orages du siècle, le mal de vivre et l’avenir en berne. Partout les chauves souris cherchent la nuit. J’ai froid, mais le soleil me donne des coups, des coups de chaud, des coups de coeur, des coups de lune. J’ai-gris, je crains les coups de blues et les coups de gueule. Je me soigne, je me soif et je bois. Je ne suis pas un écrivain digne de ce nom, entre je bois et je dors, je suis une terreur d’encre bleue et de blanc papier. Je dégomme de vieux verbes, je frappe du crayon, j’exhume des rires oubliés, des rhumes de cerveaux. Je tire le verbe à face ou pile, j’efface, je pile je compile, je traque la conscience, je détraque le sens, j’encense la raison, je ficelle des mots, je phrase, je bûche, j’élague, j’arase de la consonne et du chiendent, je m’oripeaux, je m’horripile, je délire, je lis, je graphite, je hiéroglyphe des alphabets de cris indistincts, je trans-pire de la plume, de la bille, j’efface, je m’efface. Mon crayon ne croque plus rien. Dès le matin, j’ai faim, faim de lire, faim de vivre, faim de dire ; faut dire que je ne suis qu’un perce oreille que personne n’écoute. Je suis un navire aux écoutilles du verbe, j’écoute le vent, la mer, la peur, la frayeur, le rire, la tendresse. Jour nuit plein rêve plein vie, j’écris. Quand je n’ai pas le temps, je cause, je solde, je brade, je casse, je tracasse, je passe l’arithmétique du mot en profits et pertes, je passe, j’efface !
Je ne suis qu’un mille-pattes qui boite au fil des vers, un ver luisant dans des envers de prose, un univers en quête de lumière. Partout c’est la dérime, partout, c’est la déprime. Je frappe du crayon. Je ne suis qu’un mot unijambiste qui marche en crabe et garde son cap, je ne serai jamais un apprivoiseur de mots roses, un matador de salon, un beau parleur de tea for two. Je ne suis pas digne, je suis transparent, je griffe, et je déprime. Dans les gravats de l’alphabet, dans les poussières du vivre, je suis un dégât collatéral du verbe écrire.
Si au fond d’un vieux cahier, un jour j’enterrais mon âme et qu’un croque en mot découvre le pot aux roses, je serai la dernière épine.
JMS - In : "Derniers délires avant inventaire" - Editions Chemins de Plume - 12 Euros