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La patience de l'eau

Publié le par Cheval fou (Sananes)

Au début était le Néant.
Froissé par le poids de la solitude, il s’était replié sur lui-même, jusqu’au jour où, lassé de son immobilité, il se scinda en énergie et en conscience. Il emplit le vide et découvrit alors la beauté, le rêve et l’imagination.
Ceci fait, il décida de jouer à autre chose.
Il fit bing et bang !
Nous étions deux heures moins dix avant la Création.
Dans un premier frisson, il s’étira et découvrit le plaisir d’être, sentit l’ivresse du mouvement.
Cela lui demanda cinq jours qui furent comme cinq éternités.
Au sixième jour, il enfanta la matière et lui demanda d’être son corps. Il la nomma Univers.
Il l’organisa en lois, en structures et en particules.
Curieux de lui-même, il s’observa un jour durant.
Ce jour dura une éternité.
Enfin, au septième jour,  il se reposa d’un repos bien mérité.
 
De ce tumulte bouillonnant naquirent les trois éléments de son corps.
Curieusement, les élements, au lieu d’être heureux de vivre, ainsi, les uns avec les autres, ils se jalousèrent :
La conscience de soi, c’est bien compliqué car de l’observance naît l’envie.

Eau frémit de partout, joyeuse et vive comme un rire cosmique, elle s’écria :
- Je suis la vie et la mémoire du monde !

Vent, comme un frisson galactique, amicalement, la prit dans son manteau, ainsi que tout ce qui était.
- Je suis si grand, dit-il, que je peux tous vous contenir.
En jouant tour à tour de la caresse et de la tempête, il visita le monde.
 
Roche fut très fière d’elle-même.
- Pauvre Vent,  dit-elle, c’est tout juste si tu existes, nul ne te voit et tu te déchires pour nous laisser place, tu n’as même pas de corps.
Puis, elle se mit à plaindre l’eau
- Pauvre Eau, dit-elle, qui n’a ni forme, ni force, tu ne sais que glisser vers le fond, alors que mes cimes s’enracinent dans le ciel.
On ne peut pas dire que Roche fut très diplomate.
Vent était futile et pressé, il partit en crissant et hoqueta :
- Moi, je suis fait pour voler et parcourir le monde, je suis fait pour tout voir et renaître sans cesse. Réfléchir ne m’intéresse pas. Laissez-moi courir. Le monde est à moi.
Eau était plus susceptible. Vexée, elle répliqua :
- Je suis faite pour courir la terre et changer selon mes humeurs. Je peux aussi avoir mes vapeurs et voler tout comme le vent, disparaître et renaître, aimer et me battre et même, s’il me chante, me changer en pierres de diamant par temps froid. 
Roche se gaussa :
- Passez, formes fragiles, je suis la force et l’éternité, je vous regarderai sans broncher courir vers des rivages inutiles et vous déformer à mon contact. 
Le monde ne m’intéresse pas, il me suffit d’être. Mon voyage, c’est la traversée du temps. Courez, pauvres sans-formes, vous ne saurez jamais, comme moi, caresser l’éternité, mon destin est de m’asseoir à ses cotés.
Vivez, disparaissez et renaissez, si tel est votre plaisir. Vous ne pouvez m’inquiéter, regardez-moi : Nature m’a faite si forte et si belle ! Regardez comme je suis typée et variée, je suis faite de pics, de monts et de plaines, je vous porte sans effort.
Prenez-moi donc en exemple et essayez de vous durcir. Asseyez-vous près de moi et passons l’éternité sans broncher paisiblement dans le silence.
A vous déchirer sur moi, vous me faites pitié.

Vent ne dit rien. Il se contenta de siffler un air qui lui plaisait, de courir et de se reposer.

Eau portait la mémoire du monde et elle garda sa colère toujours intacte, ce qui ne l’empêcha pas de couler des temps heureux et de jouer au nuage et à la glace. Et cela, des semaines de millénaires et des millions d’années durant.
Inlassablement, elle jouait au nuage pour remonter au sommet des montagnes et là, elle jouait à Pluie, faisait du toboggan sur le dos de Roche.
Elle fit cela avec tant de patience, d’obstination qu’elle découpa Roche en Pierres et Galets, les fit rouler, les bouscula.
Roche gémit, Roche pleura, Roche s’insurgea .
Roche trouva ce procédé d’une parfaite indignité, traita Eau de sournoise, pendant que Vent riait.
- Donne-moi des coups d’épaule, bats-moi avec noblesse, mais cesse de me détruire traîtreusement avec tes caresses.

Eau répliqua avec ironie :
- tu sais maintenant, lourdaude, que ma force vaut bien la tienne. Car ma force c’est la patience du Temps. Puis elle partit courir le monde sous la caresse du vent.

Elle n’oublia rien car elle est la mémoire du monde.

Elle pardonna.
Ainsi ils firent la paix.
Ainsi, ils enfantèrent la Vie.
Poisson fut un de leurs premiers enfants


JMS - Extrait de :  Aube Fantasque Autobiographie d'un vieux rêveur

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Lettre à l'enfant qui dort (ou l'enfance algérienne)

Publié le par Cheval fou (Sananes)

Je viens d’un monde ailleurs

 

Ici on dit treize heures.....mais là-bas.......

 

Connais-tu cette chaleur brûlante d'une heure ? Quand l'ombre de l'église et des platanes se fait si petite que tu prends ton souffle avant de traverser la rue pour vite aller te tapir dans une autre ombre ?

 

Même les bruits s'y font différents, secs, brefs et mats. Tiens, je me souviens... Même la cloche de l'église retenait son souffle pour pousser son plus petit cri de la journée. A cette heure, la place, le kiosque, les terrasses des cafés, les ombres des palmiers, semblaient cloués au sol, tétanisés comme des flaques de lumière et d'ombre sur une carte postale.

 

Dans les maisons fermées, les enfants rusaient pour ne pas faire la sieste.

 

C'est vrai, tu n'en sais rien, toi, tu es d'ici, c'est ta certitude, tu dors et je te regarde, il est treize heures et tu ne sais rien de la bouffée d'air brûlant qu'on aspire comme la fumée d'une cigarette, douce brûlure, aimée comme le goût d'un pays.

 

Il est treize heures. Dans l'ombre, les silences ont tant de choses à dire.

Il est treize heures et le soleil a envie de folie, il se croit comme là-bas, fort à créer la torpeur.

 

Dans cet ici, blottis dans des carrés de mémoire, pêle-mêle, temps et vie, passions et regrets, rangés au fond d'un cœur.

Tu ne sais rien de cet ailleurs où chaque heure avait son poids de vie réglé au rythme profond des soleils et des parfums.

 

A six heures, tu dirais dix-huit heures, les martinets joyeux allaient s'assembler sur les câbles téléphoniques tendus au ciel des rues, arrimés en leur extrémité à des gobelets de turquoise.

A cette même heure, l'ombre des entrées des maisons, les feuillages, libéraient un flot de vie dans l'avenue principale sous la chevelure fantasque des palmiers, chimères fidèles et bienveillantes qui semblaient garder un bonheur éternel.

 

A cette heure, la vie bruissait et glissait de toutes parts. Les éclats de voix, les klaxons, les cris d'enfants, naissaient comme une marée puissante, invisible et forte comme le vent.

 

Comme les arbres qui jalonnaient cette quiétude, enfant un peu seul, j'épiais ces cris, regardant les heures.

 

 

Extrait du roman : "L'enfance algérienne"

et  du recueil de poésie "Lettre à l'enfant qui dort"

 

Publié dans Mémoires d'Orient

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