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J’avais dix ans

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

Je me souviens
d’un enfant ébahi par la largeur de la vie,
par des millions d’étoiles assiégeant le paquebot
et toisant l’horizon,
d’un enfant debout à la proue du navire,
se sentant une âme de capitaine.
Il partait pour cet ailleurs que l’on nommait la France,
face à l’avenir, un nez de métal déchirait les vagues,
un goût de vent et d’embruns lui cinglait le visage.
La vie prenait saveur d’aventure,
il sentait l’intense
l’étreindre comme la caresse d’une promesse
quand soudain
un cri venant de l’arrière l’interpella,
"Un oiseau" ?
Ce n’était pas l’oiseau
qui annonce que la terre est proche,
non, c’était un passereau cap au Nord,
essayant de rejoindre le continent
et, comme un marin naufragé,
il regardait au loin l’île salvatrice,
il suivait le bateau.
Des heures durant
l’enfant l’a vu lutter,
effrayé par les passagers
et leurs cris d’encouragement.
Jamais il ne se posa sur le bateau.
J’avais dix ans
et mes prières ne l’ont pas sauvé.
Encore, son inutile combat me poursuit.
Inconsciemment,
déjà je savais que l’homme et l’oiseau
ne sont que passagers du jour et de la vie.
J’avais compris que rien
de ce qui souffre ne m’indiffère.

JMS
in "Homme, Où vas-tu ?"
À paraître
Photo Philippe Galazzo

 

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Un arbre qui marche

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

Je suis un arbre qui marche
dans ce jardin où la pierre crie sa faim
où les larmes du ciel sont une pluie amère
un venin de chrome et d’oxyde
une banquise qui part
un ours qui meurt
Je suis un arbre qui marche
dans le sur-place de l’impuissance
je suis l'écorché du futur
Toi qui restes
dans le soleil spolié du rire
tu affronteras demain et ses djihads
la pierre a faim
la pierre sait
il n’est d’autre mur que la peur
d’autre barrière que la vanité du savoir
Toi qui restes
dans ce monde tailladé
aux mille frontières, la pierre rit
mur des différences
mur des indifférences
mur de la honte
mur de l’envie mur de solitude
mur barrière
barrière scintillante du dollar opulent
mur barrière muraille
muraille des pouvoirs arrogants
Je suis un arbre qui écoute
la peur serpente
la pierre dresse ses remparts
la pierre n’a pas de cœur
le murmure des oiseaux sages n’y peut rien
Je suis un arbre qui marche
et le monde croise à mes côtés
plus loin que le temps
le silence m’enracine dans l’absurdité du jour
je suis l’arbre qui crie à l’amour
et à la vie
petite, si j’ai peur c’est pour toi.

in “La diagonale du silence” aux Éditions Chemins de Plume

Composition de JMS nuages internet- arbre de Corinne Josseaux-Battavoine

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Comment aimer la vie ?

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

Comment aimer la vie, comment se dire homme, se dire Juif, se dire Chrétien ou Musulman, se dire humain, quand l’on ne se reconnaît pas dans le regard de l’autre ?
J’ai vu l’enfant d’ailleurs celui qui s’est cherché sans jamais se trouver sur des routes de bonheur, celui qui, sous des tropiques faméliques, a sautillé entre la faim et les possibles du rêve, celui qui a joué au quitte ou double du "vis ou meurs" ; je l’ai vu au "gagne ou perd", lui qui maintenant, au naufrage du rêve, barbote près d’une barcasse à la dérive. Où est-il ce gamin aux confins de nulle part et du cri bleu de la nuit quand les sirènes du destin l’abandonnent à un bois flottant ?
Ne lui reste que la prière pour demander l’avenir, le cri et le sel pour sa faim, et rien d’autre. En ce terminus de l’espoir, la mer est si profonde, les oreilles et les regards si lointains, qu’aux semailles du rire perdu, un couteau noir lui arrache la colère de vivre. Où est-il, si loin de l’humain, le gamin de nulle part ?

À l’écologie des cœurs a-t-on oublié que la vie est une, qu’elle ne se segmente pas ? Y a-t-il un cœur réservé à la notoriété, à la richesse, aux premiers de cordée, un cœur barricadé derrière une invisible frontière, celle qui sépare les habitants de nulle part, les enfants et chiens des rues, les jardins assoiffés de l’animal de compagnie et de son maître ? Et rien pour l’homme de misère et le monde d’en bas ? De lui, l’adolescent qui se noie, ne reste-t-il qu’un enfant-clown entaillant ces abîmes du rêve où le cœur, de lui-même, s’arrache les dents et l’envie de mordre le jour ?
Parfois le pain de vie est si dur que l’on se demande pourquoi aller plus loin quand nulle part ailleurs une main ne se tend, et quand, là-bas, entre Coca et MacDo, la fée indifférence exulte de joie pour un ballon d’or.
Comment aimer la vie, comment se dire homme, Humain, quand l’on croit que le livre de l’autre est une barrière, que la richesse diplôme la noblesse ou qu’un titre de possession, qu’une frontière, donnent des droits, et quand un visage ou un corps non académiques, peuvent vous priver de l’égalité ?

Qui peut croire que la faim d’un enfant d’ailleurs, et même celle d’une bête, ne porte pas un même poids de douleurs que le cœur de nos enfants ? Que notre soif est différente de celle d’un arbre, d’un animal, d’un homme d’ailleurs ?
Habitant de la souffrance, si loin des joies de l’opulence, toi, de chair, de bois, d’épine, ou d’écailles, ne sommes-nous pas tous poussière d’étoiles, frères de la terre, de l’air, de l’eau, tout comme la biche, et l’enfant d’ailleurs ?
Y a-t-il un monde où le bonheur est indispensable et légitime à certains et un monde ailleurs où la vie, elle-même, et le bonheur ne sont qu’accessoires conjoncturels ?
Comment aimer la vie, se dire homme, Humain, quand l’on ne se reconnaît pas dans la souffrance de l’autre, de l’autre sous toutes ses formes ?

JMS
in "Homme, Où vas-tu ?"
À paraître
Illustration Philippe Galazzo

 

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Un jour

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

Un jour,
j’élèverai les enfants d’hommes
comme j’aimerais élever les arbres, les animaux
les monuments et les sanctuaires
et tout ce que l’on peut aimer
avec la tendresse que l’on doit à la vie
aux fleurs et à toutes les créatures.
Car nul n’a été créé pour être exploité ou mangé,
car nul, quelles que soient ses obligations,
n’est en droit d’oublier le respect.
Et j’ai prié,
prié pour que n’arrive pas l’extraterrestre
qui se comporterait comme un homme
et le mangerait, le mettrait en esclavage,
l’appellerait objet animé,
le ferait souffrir,
lui imposerait sa volonté !

C’est à cela que rêvait mon chat
quand je l’ai réveillé.

JMS
in "Homme, Où vas-tu ?"
À paraître
Illustration Philippe Galazzo

 

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