Chant de synapses
Dernière barrière, l'encre endigue un flux d'images, de mots, de variations subliminales qui, sans cesse, perturbent mes silences. Un monde ailleurs, une danse neuronique se cabre, m'envahit, mute, décrypte un imaginaire divagatoire. Rêves, cris intérieurs se percutent, dessinent, engendrent l'histoire de l’œil et de l'esprit qui ne voulaient que de la beauté afin de ne plus souffrir.
L’œil se mutile de larmes, une fée les transforme en nuages de pluies salées si immensément désespérées qu'elles engendrent les océans, sans, hélas, ne jamais endiguer la laideur.
Vite, fuir l'étrange vision de l’œil et du sel ; vite partir chevaucher un autre chant de synapses plus souriantes ; vite aller ailleurs dans l'excitation créatrice d'une aubade à la petite pierre rouge ou l'histoire d'un frisson de peur que déchaîne devant moi la vision d'un oiseau inconscient chantant sous le regard du chat.
Une paralysie m'enchaîne. Pourquoi l'imaginaire, qui devrait être rêve et terrain d'évasion, est-il parfois si brutal ? Que se passe-t-il dans les trêves du conscient qui agite des images, des pensées, des mots ? Parfois, je converse avec une petite fleur jaune comptant ses pétales et qui n'a nul besoin que je lui dise "tu es belle" pour être belle, tant sa beauté et une offrande généreuse. Par elle, j'en viens à analyser la distance entre le beau et le joli. Je parcours une dimension où le Temps ouvre la conscience du fragile. Petit bouton d'or, es-tu prêt à disparaître ? Doit-on toujours partir pour d'autres viennent ? Sommes-nous si impuissants dans les mains du Destin que nous ne puissions espérer léguer que nos rêves au futur ? Je regarde ce que tu es petit parfum d'herbe jeté au vent dans cette symphonie des odeurs où le jasmin triomphe. Il n'y aura pas d'oraison pour ton départ, petite fleur encore épanouie. Déjà, je sens pointer l'odeur âcre des étés oubliés et la couleur ocre qui t'appelle, t'habille, te touche, et froisse tes feuilles. Où vas-tu petite fleur ? Où va-t-on ? Tu me rappelle ce poème, griffure mémoire venue d'enfance, que j'avais lu dans la revue "Képi blanc" en 1955. Sous le titre de "Petite fleur", un légionnaire te parlait : "Demain, je le sais, je vivrai sous terre près de toi". Et le lendemain, une balle, près de toi le coucha. Où es-tu maintenant "Petite fleur" du légionnaire ? Dans l'odeur du poème ? Dans un lointain toujours présent ? Es-tu la part léguée au futur d'une petite graine qui aurait épousé l'éternité pour renaître dans mon jardin ? Pourquoi les hommes se nourrissent-ils toujours d'images de crépuscules lointains et de fleurs, et pourquoi faut-il que du passé toujours reviennent des images, des mots ? Le silence ne se repose-t-il donc jamais ? Faudra-t-il, petite fleur que moi aussi tu m'apprivoises ?
Encore je reste là, porté par un flux de mots qui me parlent de toi, des pluies de sel, et de cet imaginaire qui caracole dans mes silences. Je reste ici, accroché à des délires en poèmes, qui viennent ou périssent comme des oublis.
Je suis dans le poème qui court, je suis l'espace après la virgule, je suis perdu dans cet incendie de la raison qui amène un ailleurs incernable. Je ne sais vivre qu'en ce perpétuel feu où mon délire m'enferme comme les murs d'une forteresse et où, parfois, par miracle sauvage, le verbe épouse le papier. Je ne sais d'où vient le mot qui me porte. Je vois, je ressens, je suis, j'appartiens à cet œil cosmique et intérieur qui hante le silence.
Petite fleur, je te sais partout dans les jardins de l'esprit et du vent.
JMS