J'ai toujours été fasciné par les changements de comportement, voire la naissance de deux ou plusieurs identités qui s'affrontent chez certains individus ayant eu des accidents cérébraux (tel le cas de Phineas Gage), ou ayant subi des opérations destinées à séparer les lobes du cerveau dans le cas par exemple des soins de l'épilepsie. Ces comportements, troublants et fascinants, montrent les mutations, avec cohabitation impossible, de plusieurs personnalités en un seul individu. Comment savoir qui l'on est vraiment et quels moi pourraient surgir de notre inconscient ? Et combien de Dr Jekyll et Mister Hyde peuvent, dans certains cas, s'emparer de notre personnalité ?
Avant de me rencontrer,
je ne savais rien de moi,
rien de nous.
Depuis,
quand grince le silence,
je me fréquente,
je nous écoute,
je scrute les mille moi
qui s’agitent, m’agitent,
m'empêchent de dormir,
de réfléchir,
disent que la vie est belle,
se contredisent
et affirment que rien n'est beau.
Avant,
je ne savais pas que j'étais une foule de moi
enfermée dans une caboche emplie de rêves
de peurs et de mystères.
Depuis,
il m'a fallu regarder en moi,
y voir mon moi "Épicurien"
affirmer que "Tout Fou",
mon moi qui parle de la nature du verbe,
de l'épaisseur du rire et du poids du chagrin,
est aussi inutile que "Philosophe", cet autre moi
qui d'ailleurs trop souvent ne tourne pas rond
à force de chercher le sens
ou de contourner les contresens !
Jamais loin d'eux,
"Justicier", encore un moi, insupportable,
veut enfermer la vérité,
définir le beau et le laid,
séparer le bon du mauvais
et nourrir la controverse.
Fort heureusement,
parmi tous ces moi,
"Timide", le plus discret d’entre nous,
celui qui habite au plus profond de moi
loin du brouhaha et des autres,
quand il ne silence pas
ou ne dénonce pas le tapage de tous les moi de surface
qui se nourrissent d’apparences,
lui, écrit.
Avec moi, il modère le moi "Premier cri"
et son ami, le moi "Enthousiasme",
ces moi qui ne réfléchissent pas
et fréquentent la bande à "Ne dis rien et parle de tout".
Comme moi, ce moi "Timide"
voudrait se réfugier sur une feuille morte
et visiter les royaumes du vent
en se gaussant du moi "Pessimiste"
que l’automne et la télévision
rendent morose.
Quand tous les moi parlent en même temps,
que la cohue se fait clameur,
m'éreinter à leur dire "cause toujours"
n'y fait jamais rien,
ils font la forte voix !
Leur chef, celui qui se prend pour le roi,
celui qui dit "nous" quand il parle,
celui qui m'invective,
hurle si fort que je me dois de lui répondre.
Il me contraint à faire l'oiseau,
à saisir les paroles en l’air,
les mots en trop, les points sur les i,
à lui jeter à la figure
les sourires en coin et les non-dits,
pendant qu'un autre moi,
un gros excentrique qui se prend pour un autre,
lui, se demande si je me mérite.
Tout cela, bien sûr,
dans le brouhaha révolté de mes mille ego
qui se refusent à être égaux !
Mais,
si j'aime ma multitude
et le désordre complexe
où le moi "Justice" cherche son chemin,
les moi suprémacistes m'inquiètent.
Alors,
je me fâche avec eux,
je me fâche avec nous
je me fâche avec le monde entier !
Je convoque le silence,
je ferme les yeux, les oreilles,
je ne les écoute plus.
je m'enfuis pour ne plus les entendre,
et me fais croire que je rêve.
Je laisse glisser des nuages
dans les yeux de mon chat,
j'endors la clameur, l’ennui et la révolte
de tous ces moi et émois
qui font gronder les voix du jour,
celle des ancêtres, des petites choses, de la rue,
jusqu'à la déraison.
Je rejoins le moi "Timide"
qui écrit son poème,
je me demande où est la sagesse,
et nous rentrons dans mon miroir,
le lieu préféré des moi "Parle à voix basse",
qui ne pensent qu'au chocolat
ou qui ne pensent à rien.
signé : JMS, Tout Fou, Moi et les autres