Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Six ans déjà et la mémoire

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

Nice (juillet 2016)

Quand le sang coule,
appelez-moi chagrin,
appelez-moi larme douleur révolte,
je suis Nice, Kaboul, Jérusalem,
Damas, Mossoul, Munich…
Quand le poignard s'enfonce,
je suis l'enfant,
la femme aux yeux tristes
dont on a éteint le regard,
les 84 personnes qui ont péri à Nice,
les 10 enfants volés,
les 331 blessés
qui s'acharnent à vouloir vivre et encore aimer.
Je suis ce rire encore collé à une photo,
cette femme qui ne reverra jamais sa mosquée,
ce père et son fils si loin de leur Texas,
ces deux enfants
qui ne fêteront jamais leurs cinq ans.
Je suis
un père en deuil, une mère en larmes,
une grand-mère qui ne sait plus vivre,
cet homme qui protégea les siens,
ceux qui s'interposèrent pour que d'autres vivent,
cette nuit où les étoiles eurent mal,
ce cri qui ne veut pas partir,
cet oubli qui ne viendra pas,
cette nuée des âmes
qui s'insurge contre tous les détenteurs de vérités,
contre tous ceux qui jugent et s'arrogent le droit de tuer,
contre tous ceux qui souillent le droit sacré de vivre,
d'aimer et d'être libre
et d'avoir une conscience.
Appelez-moi destin
car je suis celui qui sait
que les enfants de l'échec
sont une obole à l’intégrisme,
que les infirmes de la conscience
vendent la prière et le meurtre à la criée.
Appelez-moi ineptie
car je suis celui qui, sur Internet, regarde
les marchands de haines prospérer
dans l'impunité et l'indifférence
de ceux qui en font commerce.
Appelez-moi Nice,
Toulouse, Bataclan, Orlando ou Paris,
appelez-moi Kaboul,
Jérusalem, Damas, Mossoul ou Munich,
appelez-moi Afrique,
États-Unis, Asie, Tunisie, Algérie,
j'ai le nom et le sang de millions d'hommes
qui grésillent au fond de ma mémoire.
Où que j'aille,
de Port El Kantaoui à l'extrême sud de l'Afrique,
encore et encore, je cherche l'humain.
Appelez-moi détresse
car je suis celui qui sait qu'entre la bestialité et l'homme,
il y a la conscience.
Appelez-moi doute, fatalité, malchance, aveuglement.
Appelez-moi Homme,
si être homme encore a un sens.
Appelez-moi espoir,
appelez-moi avenir car je suis celui qui croit
que l'on peut encore restaurer le cœur de l'homme
et encore lui donner des étoiles, des projets et du rêve.
À Nice, Toulouse, Bataclan, Orlando, Paris
Kaboul, Jérusalem, Damas, Mossoul, Munich,
et dans les mille autres ailleurs où court le crime,
vous serez toujours là,
à peupler les donjons de ma mémoire,
où que j’aille, je porterai votre sang et vos rêves.
Enfants d’ici,
enfants d'ailleurs,
convoquez l'amour, le respect, la tolérance, la joie,
je cherche l'humain,
où que j’aille, encore et encore,
toujours je chercherai des frères.
Pèlerin sans croix, sans croissant, sans étoile,
sur une route où les intégrismes sont légion,
sur cette route où la lumière est sous voile,
j'affirme
que l'humanité sera laïque,
diverse, généreuse, fraternelle,
ou qu'elle ne sera pas.


In "DE CHAIR ET D'ÂME   Suivi de  DE MÉMOIRE ET D'INFINI
aux éditions Chemins de Plume (2021) page 66 à 68

Six ans déjà

Peinture de Slobodan (rue de la Poissonnerie Nice)

 

Partager cet article
Repost0

Poème à mon enfance

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

Sur les berges d'un mot, j'accoste des continents,
là-bas déferlent des tempêtes de vagues à l’âme,
j'y esquive des rires défunts,
des saveurs archaïques,
de vieux cumulus dans un azur inégalé,
il y a du varech et des chansons d’enfance,
hé, maman, es-tu là ?
Là-bas bruissaient la colère et le verbe aimer,
l'ombre et la lumière,
ta voix y était chanson,
Mère, je ne sais où tu es
.

Entre hier et jamais plus,
mon  passé frissonne
tous, je vous entends palpiter
dans l'éclatement des pendules.

Là-bas, sur mon bureau,
une carte d’Europe portait le nom de mes amis,
des adresses, et le drapeau de leurs pays
.

Le savez-vous, l'Histoire a arraché vos noms
et tant de rires oubliés sur une terre qui tuait ses enfants.
Toi, mon ami d'Alger et toi le Yougoslave,
où êtes-vous ?

Je viens d'un pays qui n'existe plus,
mes rêves apatrides cherchent leur royaume,
où suis-je dans les errances du vent ?

Dans cet entre-temps où chutent les décennies,
je cherche un territoire,
un lieu d'accueil pour tous ceux
qui encore chuchotent en moi,
et pour tous ces jours qui s'appelaient tendresse.

De mon cœur et ma tête, ne reste-t-il rien ?
Le savez-vous, je suis orphelin d’hier.
Ils ont tué le soleil.

Je cherche des gitanes de flamenco
et l'ombre du platane aux  oiseaux,
et vous, hirondelles de mon enfance,
défroissez les cœurs, les amitiés, les rêves anémiques,
inventez des mots nouveaux qui parlent de retour,
des syllabes d'oiseaux qui soient solfège d’infini.

Et toi, ami des Temps perdus,
où es-tu sur ces chemins sans retour
où j'effrite ce qu'il me reste d’espoir ?

JMS

 

Partager cet article
Repost0

L'arbre millénaire

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

Vieil arbre, toi que l'on dit de paix,
si tu pouvais parler,
nous dirais-tu le bonheur ou le sang versé ?
Certains silences sont les tombeaux du tumulte,
devrait-on en exhumer les rires,
les cris, les larmes et les renoncements ?
Nous raconterais-tu l'histoire brute,
hors corrections et manipulations,
loin des culpabilités ?
J'en reste aussi perplexe que curieux
et j’écouterais, en me bouchant les oreilles !

                   Photo Armanda Dos Santos - Ayurvedic Lab

 

Partager cet article
Repost0

La mort

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

 

(L’homme de Bel-Abbès)

 

La mort,

c'est ce chat qui m'attend

dans une rue de Sidi-Bel-Abbès

pour me dire que les fleurs étranglées

ont écrit des zéros

 

La mort,

c'est cette belle vitriolée

par l'Amour, par le Temps,

par les crèves et les chemins de détresse

jouant aux dames derrière le carreau

 

La mort,

c'est se revoir sur un banc au collège

chez les marchands de mensonge

avec son copain qu'est devenu un autre

 

La mort,

c'est ce marchand d'étoiles

sorti d'un manège

qui joue de la déchirure mémoire

et de la gomme à songes

 

La mort,

c'est quand on n'est même plus un autre.

 

La mort,

c'est ce chat qui m'attend

dans une rue de Sidi-Bel-Abbès

 

JMS

Partager cet article
Repost0

Je passe comme un chagrin de temps qui court

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)


 Souvenir d'un juillet 62

À Hossine, ce vieil ami que j’aimais comme un père

Retiens ma vie
m’avait dit ce chat griffé par le cancer.
Tourne tourne le poignard bleu.
J’ai laissé sa vie
sur le cri désâmé d’une seringue assassine
j’ai oublié mes larmes sur la table d’un vétérinaire.
Tourne tourne la lueur trouble de son dernier regard.
Tourne tourne le poignard de l'impuissance.
Partent partent les pages
partent les larmes.
Et moi qui passe
comme un chagrin de temps qui court.
Je suis un homme de demain
je serai un enfant d’hier.
Résonne la Question :
Est-il mot plus signifiant que : pourquoi ?
Retiens mon nom,
avait-il semblé dire
déjà sous un ciel d’ailleurs.
Déjà, un vieil ami m’avait dit :
Retiens mon nom.
Tournent tournent les décennies.
Tourne tourne le poignard bleu.
Là-bas, dans l’enlisement des jours s’effacent les noms
comme un deuil en partance et la mort entre nous.
Au temps de l’enfance et du sang
sur un trottoir d’adieu la vérité cherchait ses mots
et clamait ses promesses.
Dans les fausses notes d’un temps égorgeur
la prière et le crime rognaient le même verbe.
Partent les pages, partent les larmes.
Tourne tourne la lueur trouble de son dernier regard.
Tourne tourne le poignard de l’impuissance.
Et moi je pars
comme un chagrin d’antan épuisé de remords
sous le cri désâmé des minutes assassines.
Quand tonne la Question
je reste un gamin d’hier.
Est-il mot plus insignifiant que : toujours ?
Je vais comme un chagrin de vent mauvais
je bruisse en rumeur d’oublis insoumis.
Dans l'enfance que je porte, mijote un enfant chauve.
Et Toi, quelle est Ta langue ?
Ne parles-Tu que le silence ?
Je Te regarde sur la seconde qui part.
Tu me flingues
comme une marée de rires sur cœur à marée basse.
Partent les pages, partent les larmes.
Tourne tourne le poignard de l’impuissance.
Tourne tourne la lueur trouble
des derniers regards.
Je pars comme un éléphant fou
quand la mort barytonne à la pointe du jour.
Mère, où es-tu, qui me laisses grandir
vieillir, m’assagir, m’assoupir ?
Poucet qui égrène les jours
je pars mes rêves à la main
vieil enfant qui court dans la maison de l’Ogre
j’écoute tonner l’oxymore.
Est-il mot plus signifiant que : jamais ?
Partent les pages partent les larmes.
Jamais triomphe toujours de toujours.
Tourne tourne le poignard de l’impuissance.
Tourne tourne la lueur trouble de nos regards.
Et moi qui passe
comme un chagrin de temps qui court.
Le cheval d'enfance n’ira pas plus loin.

JMS in "Cheval fou" et in "Chemin de pluie et d'étoiles"  TOME 1 aux Éditions Chemins de Plume

 

Partager cet article
Repost0

Où le cœur ouvre son regard, tu es

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

                                                                                                         À E.B
Tu venais d'une Provence laborieuse,
des couleurs de ciel, de blé et de coquelicots
plein les yeux, plein la tête, plein le cœur.
La lumière, tu l’extirpais de la chevelure d’un pinceau,
tu nous l'offrais comme un sang paisible.
L'été, tu le mariais à une silhouette de femme,
toujours la même.
L’ombre, tu la peuplais de fleurs,
de violonistes et d'odeur de café.
Tu dressais la vie sur une toile,
parmi ce qui est et sera.

Aujourd’hui, dans cette nef de bois en route vers l’infini,
tu ne pars pas, tu es,
tu restes partout où le cœur ouvre son regard.
La route vers l'immense ne ferme pas l’invisible,
ceux qui t'aiment te regardent
Dans ce présent plus large que l’ailleurs,
tu es là.

JMS

 

Partager cet article
Repost0

Elle est

Publié le par Ile Eniger

Cet article est reposté depuis PAGES ECRITES.

Elle est sans paroles au milieu des débris de verre de ses croyances, de ses questions. Elle est sans prière. Sans justification. Elle est l'oiseau et l'arbre, le ciel et l'eau, sous le grand vent, la grêle, le feu. Une simple place nue. Chaque jour elle est au bûcher des douleurs. Cisailles contre impuissance. Chaque jour elle est l'abandon des heures heureuses. Native espérance contre trahison. Chaque jour elle distribue des caresses au chat et partage son regard. Au-dessus des agitations, elle est une improbable loyauté. Chaque jour, arrivée au bout du jour, elle choisit l'amour et la lumière. Dût-elle être la seule dans tous les mondes de tous les univers à choisir l'amour et la lumière, elle s'y tient. Elle s'y tiendra. Et ce choix, lancé au rien des jours, la rend invincible.

Ile Eniger - Les pluriels du silence - (à paraître)

Partager cet article
Repost0

Aimer, avait demandé Léo ?

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

Chez Léo

Aimer, ça sert à quoi si l'un de nous s'en va ? m'avais-tu demandé.
J'en étais resté aussi bête qu'un silence d'ignorance, et je ne sais toujours pas ce que tu vois de l'autre côté du décor, ni ce que, de nous, il reste là-bas.
Mais, ici, près de moi, aimer rend immortel, chaque jour je te vois, chaque jour je te sais dans le jardin de mes ailleurs. Les êtres de cet ailleurs, comme ceux d'ici, n'ont de taille que par le ou les bonheurs qu'ils ont offerts. Et toi, mon jamais tout à fait transparent, n'y vois-tu pas grand-père et cette vieille dame que j'appelais "Maman" ? N'y vois-tu pas un pays, le platane qui jouxtait ma maison et ses oiseaux qui mangeaient de mon pain ? Chaque jour, je m'y rends de mémoire et, parmi eux, je te cherche.
JMS
Partager cet article
Repost0

Deuxième été sans Tristan Cabral

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

Tristan Cabral est parti un 22 juin il y a deux ans déjà, mais il est en nous un espace temps surréel plus puissant que le réel, fait des présences subliminales qui nous habitent et encore prolongent nos dialogues inachevés. Tous ceux qui portent en partage les mots de Tristan, gardent un peu de lui, ce que confirme un message que je viens de recevoir et que je copie ci-dessous. Il est certain qu'il existe une dimension bien plus large que le cadran des heures.

Mes discussions avec Tristan, sur l'ailleurs, sur l'attente de l'homme sublimé et capable du meilleur, sur l'identité, nos désillusions, restent en moi présentes, peuplées de ces silences où la réflexion s'approfondit dans une fusion fraternelle des idées.

Des bribes de poèmes croisés qui nous ressemblaient me reviennent car les mots ne sont pas encre séchée sur un papier, ils sont briques d'âme ou de conscience, qui s'assemblent et peuvent porter haut cette ambition d'être plus humain qu'homme, et ce mot frère que nous vivons ensemble.

Je me permets donc de partager ce mot, reçu ce matin, qui affirme que les hommes habitent dans l'ombre de leurs mots.

: - A l'attention de M. Jean-Michel SANANES, (suite à un échange : L'été sans Tristan Cabral)

Quelques petits mots seulement, branjoles mais fervents.
Pour dire encore ma reconnaissance, mon amitié invisible et  chaleureuse au gang des "gentils" (mot déglingué !), des ardents.
Et à travers vous aussi saluer Tristan.
T. C. (de Bogota)

 

Publié dans Informations

Partager cet article
Repost0

Toi, tu pars

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

                                       À à l'ami qui part
Toi, tu pars,
hésites

Où est ce pays d'âmes nues
si loin, si proche de nos écorces terrestres ?
Y emmène-t-on nos mémoires
et tous les ressentiments attachés aux désirs,
aux ambitions manquées
et aux douleurs égotiques,
pour habiter le Pardon ?


Laisse-t-on ici-bas
nos cicatrices ?


Retrouvons-nous une originelle lumière
qui nous précéda
joyeuse,
et débarrassée du poids des karmas
des douleurs préexistentielles ?

Retrouvera-t-on l'ancêtre
pour y étancher notre soif d'éternité
jusqu'aux confins d'une cellule mère
faite de la vibration de l'atome et de l'Infini ?


Toi, tu pars,
hésites,
toi qui marches vers la réponse.


Toi, tu pars,
et nous, nous attendons.

 JMS

 

 

Partager cet article
Repost0