Je passe comme un chagrin de temps qui court

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)


 Souvenir d'un juillet 62

À Hossine, ce vieil ami que j’aimais comme un père

Retiens ma vie
m’avait dit ce chat griffé par le cancer.
Tourne tourne le poignard bleu.
J’ai laissé sa vie
sur le cri désâmé d’une seringue assassine
j’ai oublié mes larmes sur la table d’un vétérinaire.
Tourne tourne la lueur trouble de son dernier regard.
Tourne tourne le poignard de l'impuissance.
Partent partent les pages
partent les larmes.
Et moi qui passe
comme un chagrin de temps qui court.
Je suis un homme de demain
je serai un enfant d’hier.
Résonne la Question :
Est-il mot plus signifiant que : pourquoi ?
Retiens mon nom,
avait-il semblé dire
déjà sous un ciel d’ailleurs.
Déjà, un vieil ami m’avait dit :
Retiens mon nom.
Tournent tournent les décennies.
Tourne tourne le poignard bleu.
Là-bas, dans l’enlisement des jours s’effacent les noms
comme un deuil en partance et la mort entre nous.
Au temps de l’enfance et du sang
sur un trottoir d’adieu la vérité cherchait ses mots
et clamait ses promesses.
Dans les fausses notes d’un temps égorgeur
la prière et le crime rognaient le même verbe.
Partent les pages, partent les larmes.
Tourne tourne la lueur trouble de son dernier regard.
Tourne tourne le poignard de l’impuissance.
Et moi je pars
comme un chagrin d’antan épuisé de remords
sous le cri désâmé des minutes assassines.
Quand tonne la Question
je reste un gamin d’hier.
Est-il mot plus insignifiant que : toujours ?
Je vais comme un chagrin de vent mauvais
je bruisse en rumeur d’oublis insoumis.
Dans l'enfance que je porte, mijote un enfant chauve.
Et Toi, quelle est Ta langue ?
Ne parles-Tu que le silence ?
Je Te regarde sur la seconde qui part.
Tu me flingues
comme une marée de rires sur cœur à marée basse.
Partent les pages, partent les larmes.
Tourne tourne le poignard de l’impuissance.
Tourne tourne la lueur trouble
des derniers regards.
Je pars comme un éléphant fou
quand la mort barytonne à la pointe du jour.
Mère, où es-tu, qui me laisses grandir
vieillir, m’assagir, m’assoupir ?
Poucet qui égrène les jours
je pars mes rêves à la main
vieil enfant qui court dans la maison de l’Ogre
j’écoute tonner l’oxymore.
Est-il mot plus signifiant que : jamais ?
Partent les pages partent les larmes.
Jamais triomphe toujours de toujours.
Tourne tourne le poignard de l’impuissance.
Tourne tourne la lueur trouble de nos regards.
Et moi qui passe
comme un chagrin de temps qui court.
Le cheval d'enfance n’ira pas plus loin.

JMS in "Cheval fou" et in "Chemin de pluie et d'étoiles"  TOME 1 aux Éditions Chemins de Plume

 

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