La dame du salon du livre ou le chemin des solitudes

Publié le par Cheval fou (Sananès)

Elle s’approcha
Petite femme fine
Élégante et sobre
Au regard, une tristesse timide.

Un livre l’appelait, la happait
L’accrochait comme une ronce à la robe du destin.
Elle était là, face à lui
Captive d’une effrayante fascination, tétanisée.

À petit pas, elle oscilla longuement
Entre un livre sur les chats
Et le cri terrible d’un autre livre : "Lettre à mon Alzheimer"
Très longtemps elle sembla flotter entre les deux
Effeuillant le livre en tendresse chats
Puis s’approchant de l’autre.

À maintes reprises elle le saisit d’une main tremblante
Le titre de feu la brûlait
Une violence invisible la contraignait
À prendre, à poser puis reprendre ce livre
Une moisson de douleurs s’agitait entre ses mains.

Quand enfin elle réussit à entrouvrir les pages
Lèvres serrées, elle parcourut le chemin d’encre  noire
Dans un silence d’enfant perdue dans la maison de l’ogre
Elle traversait l’intensité de chaque mot
En libérant quelques soupirs.

Un ralenti du temps la figeait dans un monde ailleurs
Ailleurs mais si proche de moi, si proche de nous
L'intensité du moment laminait toute respiration
Enfin elle me parla…
Parole de crucifiée aux barbelés de l’oubli
Sourire d’enfant perdue au mouroir de la vie
Demande désespérée : Pourquoi oublie-t-on qu’ils sont encore des hommes ?
Je posais de maigres mots sur l’insoutenable blessure.

La vieille dame à la tristesse timide
S’excusa de ne pouvoir acheter qu’un seul livre
Demanda une dédicace
Puis la foule l’emporta.

Depuis sa douleur me côtoie
Depuis je lui parle
Comme elle parle à l’absence.

JMS - Extrait de "Dieu, le silence et moi" - Editions Chemins de Plume

Publié dans Dieu le silence et moi

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