Jean-Marc La Frenière

Publié le par Cheval fou

Je marche

 

Je ne cours pas. Je ne fuis pas. Je marche pour venir, pour affronter le temps. Je vais de l'homme à l'homme, de l'enfance à l'enfance. Chaque mot est un pas qui allège la route. Je vais d'un arbre à l'autre, de la pierre à la pluie, de la marelle au pain. Tant pis pour les ratures, je n'efface plus rien. Mes lignes se rejoignent où je n'irai jamais. J'écris avec la langue des pendus, la sueur des ancêtres. De quelle cave mes yeux cherchent-ils à sortir ? De quelle main toucher ce qui n'a pas de corps ? Comment croire à la vie quand tous les mots nous mentent ? Je cherche en moi ce qu'il y a de terre, ce qui reste d'étoiles, ce qui reste de bon, ce qui reste à venir. Je ne veux pas mourir en homme de papier. Les mots ne sont jamais aussi vieux que les lèvres. Un jour, peut-être, la nostalgie de l'herbe s'emparera des autos. L'homme ne laissera plus le cerveau lui dévorer le cœur. J'écris par inquiétude, par souci de la vie. Je n'en finirai pas de remuer le silence, de lui tordre la langue, de mâcher des voyelles.

          

Il y a des microphones partout jusqu'au fond des tombeaux. Tant de pensées entre les meubles ne laissent que poussière. Je vous tends une phrase comme une main pleine de doigts. Les mots qui font rêver nous font aussi pleurer. J'écoute les choses de la vie et je cherche à comprendre. J'entends la pluie tomber et la lumière du matin boire le blanc des murs. Je vois des hommes mal réveillés s'appuyer sur leur ombre. Je scrute le silence avec les yeux des mots. Quand je parle d'un arbre, je m'agrippe à la branche. Je suis la chaise où je m'assois, cette herbe entre les pierres qui ne dort jamais, ce nuage qui passe. Je suis ce que je dis. Le temps est une porte qu'on ne ferme jamais. À chaque étage de ma vie, je cherche la fenêtre, la lucarne, le trou. Je cherche la lumière.

           

Sous les paupières de l'eau, les poissons rêvent-ils ? On n'est pas venu au monde pour engraisser les porcs, pour tuer son voisin, adorer le veau d'or ni faire de l'argent. On n'est pas venu au monde pour regarder l'écran. On n'est pas venu au monde placarder l'horizon. La terre vue de loin a l'air d'un œil tuméfié. Je ne crains pas les pleurs ni le regard des femmes. J'ai peur du sourire des hommes et sa poignée de main. Je cherche une présence vraie au milieu des fantômes. Je vais à l'innocence comme on court dans les champs. Je grimpe encore aux arbres pour lire dans les feuilles. Toutes les eaux nous attendent, les herbes, les orages. Nous n'avons qu'à venir avec les mains tendues, le cœur ouvert, la tête pleine d'espoir. Parmi les hommes assis dans le cercle d'eux-mêmes, je redresse la tête pour regarder plus loin.

 

http://lafreniere.over-blog.net

Publié dans Ils disent

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Que j'aime cette écriture, je la comprend, je comprend son fonctionnement.
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