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memoires d'orient

Lettre à l'enfant qui dort (ou l'enfance algérienne)

Publié le par Cheval fou (Sananes)

Je viens d’un monde ailleurs

 

Ici on dit treize heures.....mais là-bas.......

 

Connais-tu cette chaleur brûlante d'une heure ? Quand l'ombre de l'église et des platanes se fait si petite que tu prends ton souffle avant de traverser la rue pour vite aller te tapir dans une autre ombre ?

 

Même les bruits s'y font différents, secs, brefs et mats. Tiens, je me souviens... Même la cloche de l'église retenait son souffle pour pousser son plus petit cri de la journée. A cette heure, la place, le kiosque, les terrasses des cafés, les ombres des palmiers, semblaient cloués au sol, tétanisés comme des flaques de lumière et d'ombre sur une carte postale.

 

Dans les maisons fermées, les enfants rusaient pour ne pas faire la sieste.

 

C'est vrai, tu n'en sais rien, toi, tu es d'ici, c'est ta certitude, tu dors et je te regarde, il est treize heures et tu ne sais rien de la bouffée d'air brûlant qu'on aspire comme la fumée d'une cigarette, douce brûlure, aimée comme le goût d'un pays.

 

Il est treize heures. Dans l'ombre, les silences ont tant de choses à dire.

Il est treize heures et le soleil a envie de folie, il se croit comme là-bas, fort à créer la torpeur.

 

Dans cet ici, blottis dans des carrés de mémoire, pêle-mêle, temps et vie, passions et regrets, rangés au fond d'un cœur.

Tu ne sais rien de cet ailleurs où chaque heure avait son poids de vie réglé au rythme profond des soleils et des parfums.

 

A six heures, tu dirais dix-huit heures, les martinets joyeux allaient s'assembler sur les câbles téléphoniques tendus au ciel des rues, arrimés en leur extrémité à des gobelets de turquoise.

A cette même heure, l'ombre des entrées des maisons, les feuillages, libéraient un flot de vie dans l'avenue principale sous la chevelure fantasque des palmiers, chimères fidèles et bienveillantes qui semblaient garder un bonheur éternel.

 

A cette heure, la vie bruissait et glissait de toutes parts. Les éclats de voix, les klaxons, les cris d'enfants, naissaient comme une marée puissante, invisible et forte comme le vent.

 

Comme les arbres qui jalonnaient cette quiétude, enfant un peu seul, j'épiais ces cris, regardant les heures.

 

 

Extrait du roman : "L'enfance algérienne"

et  du recueil de poésie "Lettre à l'enfant qui dort"

 

Publié dans Mémoires d'Orient

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Algérie, le chemin où le loup guettait

Publié le par Cheval fou (Sananes)

Le cristal de l’enfance s’ébrèche quand vient le loup. L’hiver 1954, le loup guettait quand il prit Grand-père. Aucun rire, aucun blagueur ne résiste à son l’appel. Même Sethi, le vieux Sethi, celui qui lui rendait visite, l’ami revenu du Chemin des Dames, l'avait rejoint avec son tablier de pauvre et sa béquille. Longtemps qu'il toussait des restes de gaz moutarde, longtemps que le cri du fauve soufflait dans ses vieilles bronches.

La campagne grondait comme une souricière. La mort avait de longues dents.

À 8 ans, à la Toussaint, j’ai su que nous habitions la tanière du loup. À 8 ans, j’ai su qu’il n’y a pas d’âge pour être grand, ni d’âge pour être enfant. À 8 ans, j’ai appris que vouloir être qui l’on est, suffit. À 8 ans, j'ai compris que la destination m’était moins importante que le chemin.

Grand-mère avait la patience de ceux qui partent. Le secret habitait sa maison. Lorca la faisait pleurer, des noms jaillissaient du noir. Je n’ai jamais su s’il avait été utile à mon père de vouloir être plus fort que ses peurs d'homme, je n’ai jamais su ce qu’il savait du bonheur, il était mon père.

Depuis le premier hurlement du loup, je n’ai jamais cessé d'être le petit garçon qui en a peur, le petit garçon qui sait que, jusqu'au bout, il lui faudra se battre pour mériter la vie.

J’ai toujours su qu’il me faudrait parcourir cette brisure d’éternité où seule la beauté rassure. Tout cela, je l’ai appris en regardant le ciel d’Algérie et ses hirondelles hiéroglyphes courir entre le silence de mon père et l’aridité des peurs.

Depuis, le loup a tout mangé, les amis ont essaimé loin d’une enfance devenue étrangère, mon père est parti, et ma mémoire est un pays d'exil. Sur ma route de Poucet, si vieux que je sois, il me faudra encore semer des mies de beautés et des croutons de douceurs, si les oiseaux les mangent, plus fort que mes peurs je ferai canard et chanterai le bonheur d'être encore là.

Il y a longtemps que je le sais : les imbéciles ne croient pas au loup.

jms

Publié dans Mémoires d'Orient

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Le chemin de Tétouan

Publié le par Cheval fou (Sananès)

 "Mange" disait Grand-mère… Mais il y a si longtemps déjà… Grand-mère venait d’antiques hivers et de mémoires berbères. Un reste de Tétouan lui rappelait des moments heureux de sa famille et des moments de noires frayeurs. Un sultan avait coupé les oreilles de ses ancêtres pour les reconnaître, il les avait chassés du mellah, avait violé, volé du sang, avait volé leurs biens, les avait exposés nus dans la ville…

Un brin de mémoire au travers du ciel, je traverse la marge.

Un cri éculé comme un silence brode la frange laiteuse d’un café posé en bord de table. J’ai bu une dose de printemps et deux doses d’hiver, j’avance dans l’odeur d’un matin sans brioche. À une croisée de l’automne, j’apprivoise, caresse une odeur de vieilles âmes : une de celles qui habitent les arbres, les pierres et les vents anciens.

L’Histoire balaie les scories du temps, la vie se raconte comme la poussière, s’écrit… Mais que reste-t-il de nos tempêtes, de nos hivers ?

Une main aveugle cherche au fond du sac, sème en route les pierres du destin.

"Pars petit homme", avait dit l’ancêtre, le ciel enveloppe l’horizon, les heures ploient sous le futur, l’automne repeint les feuilles, là-bas arrive une république, nous n’avions que nos âmes et la lourdeur des mémoires…. Oran habitait le lointain.

Du ciel à la terre, j’ai pris mon rêve, mon souffle, je cours, mais déjà mon chat s’est arrêté, c’était l’hiver des fourrures et des bouches édentées. À piste mémoire rien ne meurt, le papier en dit plus que je ne sais.

Tu ne m’as pas abandonné mon chat, je peuple un tropique de quiétude, de cris, de larmes et de rires, j’arpente la vie de l’amour à la révolte, je vois plus loin que l’alphabet.

Le vent ne meurt pas, ils se repose, reprend son souffle et cherche éternellement le chemin du sens...  Il grince, s’étire, soupire.

Où vont la vie, le ciel, les nuages et mes amours ?

Je suis vieux comme un rire assoupi, usé comme un sirocco endormi, j'attends. L'attente est une espièglerie, elle sait que l'éternité est une mort qui s'attend, un éveil en sursis. Je traque un rire d’éléphant, un sourire de fleur, un vieux soupir, un coup de griffe. Je ne crois plus ni au conte du vieux renard, ni aux au-delà qui chantent. Je suis nu dans mon âme comme arbre qui dort. Le vent réveille toujours des frissons de vieux rêves. Je secoue les pierres, bouscule la Question, j'écoute les murs s'effondrer, j’effile les heures, je suis un compte minutes qui s'épuise. J'écoute l’attente enrayer l'avenir, j'écoute mon coeur et la couleur des yeux.

Tu es noire, tu es sur la table, tu me souffles des mots indicibles, tu miaules, tu griffes, je rêve et tu es là à déchiffrer l’attente. Un grain de poil agriffé au temps qui court… Nous restons.

JMS - In : "Derniers délires avant inventaire" - Editions Chemins de Plume - 12 Euros

Publié dans Mémoires d'Orient

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