Une odeur de ronces

Publié le par la freniere

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Une odeur de ronces

Publié le par la freniere

J'avance dans une odeur de ronces et de pommiers sauvages. J'atteins un ravage de chevreuils. Des éoliennes s'agitent dans le pays du vent. Leurs bras bougent comme des hélices. Je cherche le mot juste, le polit, le triture, le sculpte comme un os. Je me bats avec des phrases rebelles, des virgules hébétées. Je fais le ménage dans le taudis des paragraphes. Je passe le chiffon sur la table des matières. Je passe le balai sur le plancher des phrases, les toiles d'araignées sur le plafond du monde. Les mots sont devenus pour moi plus que la vie elle-même. L'encre a parfois le goût métallique du sang, la consistance du sperme, un goût de sève amère, l'odeur chaude du goudron. Il y a des arbres cachés entre les mots, des vaches qui ruminent, des ailes d'hirondelles qui découpent le ciel, des rivières, des fleuves, des pays tout entiers. L'odorat se promène entre l'odeur d'urine et celle du lilas, l'âcreté du désinfectant et la douceur du pastis. Je fais le mort en écrivant, mais je revis entre les lignes. Face à la lumière ou à l'ombre, on est moins seul avec des mots. On est plus ou moins nus avec des phrases sur la langue. On est plus ou moins fort dans le ring du cœur et la maison de l'âme. Sans crayon dans les mains, je me sens démuni. J'ai le souffle à bout de course. Mes jambes sont de coton. Une meute de cauchemars me mord les orteils. Les griffes de l'angoisse me déchirent la peau. Une scie me traverse le ventre. Malgré tout, les mots tiennent debout et soutiennent ma vie. Mes véritables amis ce sont les mots. Je couche entre les pages d'un livre, celles d'un dictionnaire. Les mots et les phrases s'habillent d'alphabet. De l'encre saigne dans mes veines. Je lance les mots très loin ou les empile dans un cahier. Je les arrache de moi.

 

On n'entend pas les gens écrire. Le crayon rend mutique. Tout se passe dans la tête et les tripes. Les phrases bougent au bout des doigts. Quand on se sent vide, il y a toujours des livres pour meubler le silence, des tableaux pour se rincer les yeux, des poèmes pour remercier la vie. La marche sur la neige est cousue de fil blanc. La lumière est partout, en suspension dans la poussière de l’air, les trous noirs, le blanc des yeux, le noir de l’encre sur la peau du papier. En cherchant la gare de l'âme, un train fantôme me traverse la tête. Qu’on me donne une pelle je creuserai dans l’humus des mots. Qu’on me donne un briquet, je ferai fondre la glace des images. Qu'on me donne un pinceau, je laverai les taches laissées par l'homme. Qu'on me donne des raquettes à neige, j'enjamberai l'hiver dans les pas d'un yéti. Qu'on me donne du miel, je nourrirai les ours. Qu'on me donne un bourgeon, je viendrai au secours des arbres. Qu'on me donne un sentier, je parlerai aux bêtes, aux oiseaux, aux tilleuls. Qu'on me donne des ciseaux, je découperai le ciel. Qu'on me donne les sept vies d'un chat, je ronronnerai sur un ventre de femme. Qu'on me donne le chas d'une aiguille, je trouverai le fil. Qu'on me donne un bout de laine, j'en ferai un mouton. Qu'on me donne une chance, j'en ferai une chanson. Qu'on me donne un seul mot, j'en trouverai mille autres. Je ferai une maison avec une caisse de livres, une table des matières pour casser la croûte. On commence par déboiser l’Amazonie et on finit par tuer les Indiens et les bêtes qui l’habitent. En ville, les tueurs d’enfant finissent sur un entrefilet, les poètes en prison, les hommes d’affaires députés ou ministres. La beauté sauvera-t-elle le monde? Au moins, elle allège l'angoisse.

 

Jean-Marc La Frenière

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