Jean-Marc La Frenière

Publié le par Cheval fou

Je n'habite pas une maison mais le vent et la pluie, le moindre atome d'homme, la queue d'un chat, l'enfantement de l'arbre. J'ai le visage du pardon sur le corps d'un orage. Je mets des balles à blanc dans la culasse du malheur. Même leur bruit n'effarouche personne. Mes veines dessinent un coeur au milieu des blessures. Le sentier de montagne ressemble au dos d'un vieillard. J'y grimpe comme un enfant avec le pied léger. Sans train sans gare sans papier je déraille de ma vie. Je fais de mes jours des semaines de mots. André Laude fraternise avec Néruda. Sananès et Darwich échangent leur exil. La semaine Guillevic précède la semaine Bobin. Les grottes de Lascaux envahissent mes rêves, sans compter les nuits blanches d'Artaud qui s'immiscent partout, les comètes de Velter, les smigrovig de Gauvreau, les vieilles lignes de Grack, l'eau de la Sorgue dans les grands pas de Char, la voix grognonne de Cioran se moquant de l'espoir, les pages tachées de vin de Pierre Autin-Grenier. J'ai pendu mon dégoût au cintre du suicide pour refaire ma vie. J'en fait des tas de bois, des stères de voyelles. Je soupçonne deux vieux arbres d'avoir caché ma scie à chaîne. Ils complotent dans mon dos et se moquent de moi. Ils me surnomment «le castor», me lancent des feuilles, me crient des noms, me font des croc-en-jambe avec leurs racines. Je n'ai pas retrouvé ma scie mais j'ai trouvé ma hache. Ce doit être l'esprit des ancêtres qui reveut sa terre, cette terre qui nous tend les mains et qu'on souille de pétrole et d'argent.

lafreniere.over-blog.net

Publié dans Ils disent

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