Il y a des amis embusqués
dans l'ombre des multitudes,
des amis que l'on sait
dans la fusion du cri de l'herbe, dans le chant du loup
et la certitude d'un immense plus grand que l'infini.
Il y a des amis
qui construisent des châteaux de papier
pour y protéger le chant du monde,
des amis blessés par tous ces jours éborgnés
par l'indifférence des hommes,
des amis aux mains et au cœur par trop usés
d'avoir voulu s'agripper à l'utopie
et à un humanisme universel.
Il y a des amis
dont on mesure la taille,
quand on a peur pour eux,
quand trop de silences gaspillés
rognent les mots de l'amitié,
et que l'on est effrayé
par les non-dits et par les regrets.
Il y a des amis lointains,
dont on se sent proche.
Je suis triste.
D'une tristesse lente et vanillée,
triste à ne pas en mourir
et la voix de Ferré me comble.
Je suis l'âme d'un voilier en bout de monde,
d'un voilier qui sait la frontière noire et la latitude
où la mer démonte ses vagues à larmes.
Je sais les brisants et les caps d'espérance,
je suis le brin de sel dans la soupe d'amers,
le monde a mal et n'a pas de frontière,
je farfouille dans le crissement du siècle
à écouter pleurer les hommes.
Combien de larmes pour faire une mer ?
Femmes, vous êtes coupables
de donner la vie à qui la détruit,
hommes, vous êtes coupables
d'intelligence dans l'art de convoiter,
combien de douleur dans le ventre vide
d'un bébé qui meurt affamé ?
Vous voulez l'ocre et le soleil,
la faim et le pain de l'autre,
les médailles des champs de déshonneurs
vous enlaidissent et me font horreur.
Combien de balles pour un orphelin, pour une veuve ?
Je suis triste.
Si triste que la voix de Ferré me comble,
le silence de la mer fracasse des odeurs d'absence,
l'humain a perdu son prochain.
Passager des solitudes,
il erre oubliant le chant des âmes.
Il y a longtemps,
j'ai perdu mon âge et épousé une peur d'enfant seul,
seul dans le fracas moqueur
des sarcasmes du Maître qui le questionne
sur tout ce qui fractionne le monde,
les acres, les hectares, les savoirs, les pays, les frontières.
Ne sait-il pas que la règle-loi
isole la joie pour muscler la solitude ? Sous son regard,
des yeux de môme fuient,
franchissent les fenêtres
pour apercevoir les vieux platanes
balafrés de cœurs gravés dans une écorce innocente.
Es-tu là ? demande l'instituteur ?
Oui, il faut "Être"
pour savoir qu'encore le jour revient
que le cauchemar n'est rien d'autre qu'une absence de soi,
l'enfant veut des ailes plus hautes que le ciel,
avec des joies d'oiseaux,
des rires de cours d'école aux bonnets d'ânes éradiqués,
apprenez-moi l'en-vie demande-t-il,
apprenez-moi le rêve,
oubliez la règle de trois, la fraction et ce qui divise,
le monde a mal et n'a pas de frontière,
apprenez-moi à être un en nous,
apprenez-moi l'humain
apprenez-moi la vie,
et le chemin sans piège qui ouvre les lendemains.
En ce mois de mai
où un peuple se fait massacrer,
quand l'utopie d'une fraternité entre les hommes
et celui d'un sauvetage de la planète
fait ses adieux au rêve,
quand seul le malheur
et la peur des sanctions électorales
appellent à la raison,
quand, ici et ailleurs,
les enfants et les hommes du labeur
aux espérances étriquées,
dans le désenchantement de la promesse,
oublient de battre le pavé,
parce que
quelque chose en moi,
dans l'indigence de l'espoir,
ne veut pas mourir,
encore, je vous livre
quelques lignes de mon recueil de 2007 : Opus 24, requiem pour 1968
Je croyais en Tes mondes infinis
car je suis chien de mémoire
fidèle comme le remords
Dans un ailleurs
Tu étais là
parfois je Te nommais
Je Te savais parmi nous
je chantais à Tes côtés.
Opus 24
Je me rappelle ces temps
où les Lolita, pour un baiser
pour un tour de bras
volaient de brefs instants au banal
Un brin d’encens à la main
elles se disaient
égales aux hommes
les ouvriers rêvaient
Pour un Krishna, pour un Jésus
pour un Dylan, pour un Donavan
les haut-parleurs jetaient l’amour
Les yeux jetaient du rire
les oiseaux parlaient tendresse
Martin Luther faisait un rêve
Dieu dansait à nos côtés
Sur les pavés du pouvoir
les "bien-pensants" outrés
pactisaient autour des guerres
Du Chili au Vietnam
ils jouaient du crime et du napalm
Je regardais les "hommes de bien"
ils jouaient
à faire courir la mort
De Charonne au Biafra
ils étaient là à vendre leurs couteaux
à vendre leurs canons
Sur la cartographie de la misère
les grands
verrouillaient le monde
essaimaient leurs corruptions
ancraient leurs dictatures
dépossédaient les peuples
capitalisaient les étoiles
ensemençaient le futur de Forgeard* goulus
et autres détrousseurs de rêves et de richesses
ils nous préparaient leur monde.
*(aujourd'hui nous dirions les Carlos Ghosn et comparses)
In : "Opus 24, requiem pour 1968" - Éditions Chemins de Plume