Ile Eniger

Publié le par Cheval fou (Sananes)

Un ours danse seul

Quand se perd le chemin, à la boîte à lettres du jour, l'enveloppe est vide. Des postures mesurées s'insèrent, elles évitent les cailloux, coupent les épines et les ongles. Les oiseaux, les arbres, tant de choses qui prendraient trop de place ici pour être énumérées, perdent leurs rêves par hasard, comme blanchissent les cheveux. La pluie égare son arrosoir, le chat ne parle pas, le ruisseau ne rit plus, le vent s'époumone pour rien, les poches renoncent à leurs trésors, les boutons s'accrochent aux chemises, les heures tombent du clocher sans toucher une oreille. Le vélo vert a perdu sa sonnette. Quand s'abandonne la marche sur le fil, la maison dans les airs, le livre ouvert et le pot de confiture, ne restent que les gestes raisonnables, les pensées prudentes, quelques photos figées sur la cheminée muette. La petite fille tresse ses nattes bien serrées, comme sa gorge. L'ébouriffant, cloué sur une porte de grange vide, décolore lentement. Ces jours de tiroirs bien rangés désertent les tapis volants, mangent la soupe froide, ne dessinent plus rien dans la buée des vitres. Triste, un ours danse seul, sur une place où personne ne s'arrête. Je rentre à la maison, l'écrire en soulève la poussière. Je me suis égarée tant et tant que le ciel paraît lourd, l'horizon brouillé. Une cisaille abrège les reliefs. Je peine dans l'herbe des vestiges. Les pierres de chemin sont indifférentes. Les ronces et les orties ont perdu leurs fleurs. Quelle est cette poisse qui retient mes semelles ? Cette brume qui floute ma destination ? Un chant de coq indique le matin ou la trahison. On ne revient jamais que de soi. On ne revient jamais qu'à soi.

Ile Eniger - Le monastère de l'instant - (à paraître)

http://insula.over-blog.net/

Publié dans Ils disent

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I
Ce plaisir de lire mon texte chez toi ! Merci JMS
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