De la désinvolture du profit au crime éco-humanitaire
Cher JMF, dans un livre, vous dénonciez l'écologie, ce contre-pouvoir sans mandat qui, selon vous, faisait de l'éco-terrorisme en empêchant l'économie de tourner. Les industriels, disiez-vous, sont des hommes responsables. Vous ne connaissiez sans doute rien de l'appétit et de l'avidité des grandes entreprises ! Pas plus que celui d'une haute finance qui s'est toujours exonérée de ses devoirs envers l'humanité.
Connaissez-vous un laboratoire qui fasse de la recherche primordiale pour le genre humain qui ne dépose pas de brevet ?
Connaissez-vous un industriel qui refuse de jeter son personnel à la rue quand il peut faire fabriquer en Chine ?
Cher JMF, j'aurais tant aimé que vous ayez raison mais encore aujourd'hui, les boues rouges d'un industriel de l'aluminium vont bouleverser l'écosystème d'un affluent du Danube, bientôt la Croatie, la Serbie, la Roumanie, la Bulgarie, l'Ukraine et la Moldavie et peut-être la Mer Noire seront pollués, empoisonnés. C'est le territoire de mes enfants et des habitants du futur qu'ils massacrent. L'industrie ne se lasse pas des catastrophes : Tchernobyl, Three Mile Island, Exxon Valdez, Seveso, San Juan de Ixhuatepec, Bhopal, n'en finissent pas de compter l'agonie des survivants. Combien de poissons, de mammifères marins, de pélicans, pour un Amoco Cadiz ? La douleur animale, existe-t-elle ? La souffrance d'une pieuvre ou d'un oiseau mazouté touche-t-elle les industriels plus que leurs dividendes ? Je vous en laisse juge.
Cher JMF, je ne doute pas que vous soyez un honnête homme, mais mon pessimisme me parait plus lucide que votre confiance en l'homme de pouvoir et de richesse. Les royaumes se construisent toujours sur la destruction et la mort des derniers ayants droit. Ce n'est pourtant pas une rubrique nécrologique que je tiens en ces mots, mais un cri de désespoir. Hélas, je sais qu'il n'est ni du domaine des banques ni de celui du grand capitalisme de faire du social autrement que pour éviter des révolutions. Appropriation des richesses et respect, partage et équité ne sont pas d'un même royaume. Hélas, avant que cela ne soit, j'aurai probablement appris à marcher sur la tête ! À moins qu'à force de manger de la vache folle aux prions dopée aux antibiotiques et hormones, en sauce dioxine-becquerel, assaisonnée au plomb et saupoudrée de zinc et de quelques autres métaux lourds, qu'à force de respirer de l'air remodelé par nos pollutions, moi qui ne sais faire autrement que de respirer sans masque, je sois parti au pays des vieux poètes en colère quand ce temps viendra.
Cher JMF, je vous livre un extrait de mon livre "Le manifeste du pélican". Le terrorisme n'est pas dans l'écologie mais bien dans l'insouciance capitaliste
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Moi
l'homme animal
l'homme conscient
Moi
l'homme Homme
je condamne
les fils de la chimie
les fils de la consommation irréfléchie
ceux qui empoisonnent
les lacs et les océans
ceux qui jettent des PCB
au ventre de la terre
au ventre du futur
au ventre des banquises endeuillées
je les déclare coupables de leurs actes
Je réclame
le droit du vent, de l'eau
et de la fleur
Je réclame
le droit de l'homme Homme
le droit de l'homme debout
Moi,
l'homme animal
l'homme fleur
l'homme conscient
moi
l'homme Homme
Je condamne
les tueurs silencieux
leurs serviteurs en col blanc
leurs serviteurs à stylo
leurs serviteurs à matraques
et autres affameurs
Je condamne
ceux qui
au nom de mercantilismes assassins
revendiquent le droit
d'exploiter leurs semblables
et de tuer la terre
Je condamne
ceux qui
revendiquent leur part
de Bhopal, de Minamata, de Seveso
de Tchernobyl
de marées noires
à venir
Je déclare
que la douleur n'est pas fatale
que le statu quo n'est pas final
Moi, l'homme Pélican
l'homme cosmique, l'homme chat
l'homme maïs, l'homme grenouille
l'homme fleur
Moi
l'homme conscient
je condamne
ceux qui opposent
la raison d'état
la raison d'argent
au droit de vivre
digne et debout
sur sa tige
sur ses jambes.
Extrait de : Le Manifeste du Pélican - Jean-Michel Sananès - Éditions Chemins de Plume - 10 Euros