Le bruit, le silence, la raison
À cette heure où certains m'insultent, réfutent ma parole et mon droit de réserve, et aimeraient que je ferme mes mots, ma poésie, mon empathie, afin de laisser place à leur vindicte, je me refuse d'y participer. Leur haine m'étant étrangère, sans y tremper ma plume, je continuerai ma route.
Les temps m'affectent. Naviguer en eau trouble, ressentir la suspicion et la haine ambiante, troublent mes humeurs et ma poésie. Involontairement j'en nourris ce que j'écris, je fouille les épines de la noirceur, m'y blesse, m'y noie, trahis mes rêves. Aussi, même si des textes s'imposent à moi comme le sel à la bouche des naufragés, je les ferai insulaires, les enfouirai près de la cabane de Robinson.
La ligne droite, la beauté et la froideur nues, le cercle, l'équilatéral, le carré, images du parfait équilibre auquel le commun aspire, les stéréotypes de la perfection lisse que l'homme se complaît à approcher tout au long de sa vie, sont-ils un but ?
Je regarde l'homme, je nous regarde, tapis sous le rimmel, les corps bodybuildés toujours vingt ans au compteur du miroir. Je vois le petit homme embusqué derrière ses portails électriques, ses allées voiturières, son parfait convenu et ses joyeuses déconvenues, le voilà Don Quichotte parvenu, en fuite devant l'inéluctable. L'ombre est sa blessure.
Être, il veut. Être au centre de l'apparence. Exister à l'endroit où le commun exulte dans la bienséance du pouvoir et de l'illusion. Se croire grand à péter dans la beauté et croire que la puissance est plus grande que l'humilité.
Me faudra-t-il concéder que l'orgueil conquérant n'a d'autres frontières que la force et les Waterloo de la raison ?
N'est-il pas temps de refuser les crimes d'une esthétique dévoyée et d'affirmer qu'à ce concept il est préférable d'aimer l'homme de partage quand il n'occulte pas la vérité pour fanatiser son amour ?
Laissez-moi aimer le Juif et l'Arabe de Gaza, l'homme qui a peur pour lui et pour son ennemi. Laissez-moi pleurer sur les uns et sur les autres des larmes d'un même sel. Laissez-moi croire que le viol, le dépeçage des vivants, même au cri de "Dieu est grand" est un crime, et aussi croire que répondre à la mort par la mort, à une pluie de missiles par une autre pluie mortelle est, devant l'obstination, tout autant une douleur qu'une abjection.
Je devrais pouvoir le dire sans avoir peur, sans avoir à courber le dos sous les bastonnades du verbe !
Je sais l'étrange beauté de la ligne brisée, le romantisme rude du chemin sinueux. Je sais la pensée qui se cherche sans jamais se trouver et qui se perd à traquer l'équation de l'équilibre à vivre avec ou sans Dieu.
Laissez-moi dire qu'un homme est toujours un homme à l'égal d'un autre ! Chacun est le contenant d'un potentiel d'amour à offrir, à donner à ses proches, à autrui, jusqu'au plus infime du vivant.
Laissez-moi vivre avec tous ceux qui se reconnaissent en l'autre. Laissez-moi affirmer qu'en l'oiseau sauvage qui ne connaît ni la liberté domestiquée ni le bien ni le mal quantifiés par la pensée globale, il y a une vérité plus haute, celle d'une conscience libérée de toutes les Inquisitions et de tous les Djihad.
Rien n'est plus grand, ni n'égale la Conscience quand elle reconnaît à chacun le droit à la vie, au respect, à l'amour, dans l'intelligence du vivre ensemble.
Et si, plus loin que la ligne droite, la beauté et la froideur désâmées, plus loin que le cercle, l'équilatéral et le carré, je me cherche sur une ligne sinueuse de fracture où ma conscience est le feu brûlant qui consume mes rêves, laissez-moi m'y perdre.
JMS