L’amour que je n’ai pas donné
Je l’ai volé
Volé
A ma femme
A mes enfants
A mon chat
Au hibou qui niche sur mon arbre
Volé
A l’enfant de la rue que je n’ai pas entendu
A l’affamé que j’ai ignoré
A l’aveugle que je n’ai pas éclairé
A la haine que je n’ai pas éteinte
Au souffle de vie
Que je n’ai pas honoré.
Au tribunal des oiseaux
Je plaiderai coupable.
Coupable de ne pas avoir pardonné
Aux porteurs de faux sourires et autres escrocs de l’amitié
Coupable de ne pas avoir su
Que certains préfèrent prendre
Coupable d'avoir tardé à comprendre
Que ce qu’ils m’ont pris
Je me devais de leur offrir.
L’amour que je n’ai pas donné
Je l’ai volé gaspillé perdu.
Quand le matin s’éveilla, le petit homme qui voulait repeindre le temps et mettre du rose et du bleu dans les nuages eut le sentiment d’avoir perdu quelque chose durant la nuit. Un morceau de rêve ou de cauchemar peut-être ou la carte d’un trésor ou l’adresse d’une personne aimée que l’oubli, l’habitude ou les kilomètres auraient fait disparaître. C’est alors qu’il repéra l’ombre d’un mot qui traînait sur sa table de nuit.
- Un mot évadé de mon sommeil ! se dit-il.
Quand il voulut s’en saisir, un frisson d’effroi parcourut la petite ombre qui aussitôt tenta de s’évader. Triste décision, car elle se perdit inexorablement dans le silence d’un trou de mémoire.
Un grand vide aurait dû alors peupler la matinée du petit homme si l’ombre d’un cri ou peut-être d’un autre mot, ou celle plus vaste encore d’une parole accourue pour lui porter secours, n’était survenue. Le petit homme la considéra avec un grand étonnement et tant de joie, qu’avec la candeur d’un enfant qui parle au Père Noël, il s’exclama :
- MOT, MOT, viens ici ! Je veux savoir ce que tu caches dans ta robe bleue.
Cette interpellation quelque peu brutale semblait impudique car dans la robe un peu floue des mots se cache toujours quelque chose de plus grand, de plus vaste que le mot : le SENS, ce quelque chose qu’il faut aborder avec la plus grande des précautions pour éviter le contre-sens ou le double sens.
En fait, le mot est très semblable au cœur des humains. Comme lui, il peut héberger des dimensions plus vastes et bien plus grandes que lui.
Le sentiment est au cœur, ce que le sens est au mot.
Le petit homme savait pourtant que l’empressement ne convient pas pour ouvrir l’ombre des mots. Sa précipitation avait fait fuir la petite ombre, jusque dans la niche du silence.
Les cœurs ne s’ouvrent pas plus à contrecœur que les mots ne peuvent s’ouvrir à contresens.
Le petit homme, avait-il oublié que chaque mot, chaque cœur, est la maison de l’immense ou du misérable ?
Avait-il oublié de la vie et de l’histoire, toute prudence ?
Avait-il oublié que les cœurs et les mots misérables sont trop petits pour contenir de l’amour ?
Ne savait-il plus combien de patience et de soins il faut prodiguer au moindre mot et au plus petit des cœurs pour qu’ils puissent un jour contenir le vaste et le précieux pour le mettre à la taille de l’amour ?
Savait-il encore que seuls les mots et le cœur donnent sens à la vie ?
Quand le matin s’éveilla, le petit homme qui voulait repeindre le temps, eut le sentiment d’avoir perdu quelque chose durant la nuit…
L’ombre d’un mot sommeillait encore sur sa table de nuit.
J'aurais aimé savoir chanter, être grand et beau comme au temps de cet avant-hier qui m'a fait regretter de ne pas être un Briard avec des cheveux plein les yeux qui croit le monde amical quand on le promène au bout d'une laisse et que son maître ne se prend pas pour Dieu.
J'aurais aussi aimé avoir des cheveux et pas d'idées, être fier et avoir le courage de fuir, entrer chez moi, boire et encore boire, m'enfiler une Aspirine, un thé, un chocolat, un whisky, faire cuicui comme un oiseau et ne jamais être cuit.
J'aurais aussi aimé être raisonnable, ne pas avoir raison, avoir tort sans être tordu, me ressembler sans jamais avoir été qui je voulais, et surtout, en être heureux.
Père Noël, si cela était, m'aimerais-tu ?
Cette année, la cheminée est à l'ombre, le sapin est triste et il en a les boules, je t'attends au pied de l'arbre.
Viendras-tu avant que le vent ne m'efface ?
Sous le lit, l'armoire, ou ailleurs,
où il était, toujours j'aimais mon chat.
Entre le printemps et la commode, entre la griffe et la tendresse,
je l'aimais à en être chat, il m'aimait à en être humain.
Et jamais cadeau ne fut pareil, car à aimer rien n'est pareil.
Il est parti mon chat.
Je l'aime de souvenir à chat grain, entre l'ailleurs et le cœur,
entre hier et toujours, entre maintenant et l'horizon.
Entre moi et le ciel
2e Noël sans Léo
Léo, mon petit trois pattes
Il est reparti
comme passent les matins
comme passe la tendresse sans rien dire, sans savoir
Mon petit Papa Noël, viens ! Impatient, je t'attendrai au pied de l'arbre, mais viendras-tu ?
J'ai peur qu'en dépit d'une panne d'enfance et du vent qui m'efface, tu ne saches pas me reconnaître ! Avant j'étais petit et me voilà maintenant dans ce jardin de mots ventripotents, essaimant des bulles de savon qui se croient poèmes et caressent un temps qui se défile.
Que te dire pour que tu puisses savoir où me retrouver, sinon te rappeler que j'habite au bout de ma mémoire. Au Grand Circus des saisons, je me voulais apprivoiseur de tendresse quand le chasseur débusquait la colombe mais je reste un enfant de rien, le fils d'une peur, un homme de peu, ce chagrin-bonheur dans ce jardin où reposent Léo, Bambou, Baba, mes chats.
Dans un album sur papier glacé, tu trouveras d'anciens brasiers et ceux que j'ai aimés, et si jamais tu voulais bien les tenir au chaud, les garder près de toi loin des banquises, du blizzard et de ses bizarreries, ils te montreront ma maison au bout du chemin.
Sauras-tu me reconnaître ?
Si tu le peux, apporte-moi un efface-crainte et de l'espoir.
Le rêve me bouscule et je pleure quand il me dit : "Ton imagination est si grande que tu y enfermes même le Père Noël !"
Est-ce moi qui te retiens quand les enfants n'ont rien ?
jms
"Diane et Actéon" et la diversité de l'éducation et du regard
Dans la multiplicité des regards, le mien n'aperçoit qu'une étude de formes et d'ombres, des corps dont l'irisation des couleurs et des pâleurs atteint des sommets de perfection ! Cinq femmes et un homme aux muscles et formes parfaitement définies et l'expression des sentiments clairement représentée sur chaque visage. Regardez, écoutez bien, vous entendrez le chien japper, et la bêtise courir. Le vice n'est-il pas que dans l’œil de celui qui regarde ?
Œuvre du peintre italien Giuseppe Cesari, "Diane et Actéon" réalisée au premier quart du XVIIe siècle
Parfois un souvenir revient d'un ailleurs où s'embusquait un instant de bonheur si solide que l'intemporel s'y cramponne. Je me souviens de ce rendez-vous dans la Galleria Vittorio Emanuele II, devant la librairie qui exposait un immense aquarium qu'un moteur faisait osciller, agitant un flot bleu qui s'écrasait en écume blanche. Combien de temps ai-je passé à le regarder, m'y perdant comme en un de ces rêves où le temps s'égare et créé des espaces magiques ? Te souviens-tu, mon père, de ce Milan des années 1968, à l'heure de toutes ces espérances ignorantes des désespérances futures ? Si le siècle se découpait en instant choisis, quels seraient ceux que j'aimerais ou que tu aimerais garder en mémoire ? Nous nous sommes si peu connus mon père, que gardes-tu de nous et de l'épine de la désaffection des tendresses ? Que gardes-tu de ce que j’emporterai ? Quêteur de bonheurs absolus dans les griffures des jours, oublierai-je tout ? Le kaléidoscope des réminiscences s'emballant, sauvera-t-il mes rires, nos rires, mes larmes, nos larmes, gardant près de moi, près de nous, la subliminale présence de ceux que nous avons aimés?