Notre-Dame
Il y a si longtemps que j'ai 2000 ans.
Sur la marge des jours,
je suis un vieil homme enchaîné aux milliards de vies qui m'ont précédé,
et à l'usure des heures consacrées aux jours de labeur et à ceux de prières,
au polissage des pierres et du ciel,
aux gestes de ceux qui ont lustré le marbre et sculpté le bois.
J'épouse chaque nom gravé sur un arbre.
Une histoire universelle me parle, me raconte,
je la parcours dans un costume taillé dans l’atome.
Je suis parmi les millénaires
un homme de mémoire infinie que le vent déchire.
Doit-on toujours attendre de pleurer
pour faire des couronnes de regrets aux ossuaires disparus ?
J'ai 10 000 ans et les doigts pris dans les portières du Temps,
le cœur tordu à savoir l'amour qu'il a fallu à lisser la pierre,
et l'intelligence coutumière du geste qui a levé les tours et les flèches.
J'ai 10 000 ans et l'âme froissée à savoir la passion et la patience
qu'il a fallu aux hommes, pierre après pierre,
coup de burin après coup de burin, sculpture après sculpture,
pour graver le ciel d'une silhouette à la taille de l’immense.
Ils ont ciselé le ciel et la mémoire des hommes.
Que l'on m'enlève Notre-Dame-de-Paris et l’Île-de-la-Cité,
que l'on m'enlève Paris, la beauté et la mémoire des siècles,
et je ne serai qu'un balbutiement d'homme en quête de son identité.
