Une curieuse aventure.
Ayant toujours été en quête de voyage et d'exotisme, dans la décennie 70/80, fasciné que j'étais par tout ce qui venait des Indes, du Pakistan et de Turquie, je me suis un temps lancé dans la recherche de produits exotiques. Avec des amoureux des diversités, de Berlin à Paris, Milan et ailleurs, lors de foires internationales, une joie fébrile s'emparait de moi comme des participants qui s'ingéniaient à montrer ce que les artisanats du monde faisaient de merveilleux.
C'est ainsi qu'en ces univers éphémères et prenants, je vis des marchands de tambourins africains vendre tellement de petits tambourins qu'un décret milanais dut interdire qu'on batte tambour sur la voie publique tant la cacophonie dévastait la ville.
C'est ainsi aussi, que, lors de la foire de Cologne, un fabricant de parfum voulant me faire apprécier la qualité de ses créations, m'aspergea d'un parfum à la framboise qui me mit aussi mal à l'aise que possible dans le métro, quand des regards ironiques cherchaient où, en moi, se logeait l'ambiguïté.
De même, alors qu'un déluge s'abattait sur la belle ville de Milan, j'ai vu un opportuniste qui avait acheté les parapluies qui encombraient les objets trouvés, venir avec le camion qui en était rempli, devant la station de métro Piazza Amendola, faire fortune en quelques heures. Dans une danse semblable à celle des mouettes qui dévastent les plages quand naissent les petites tortues, j'ai vu la foule vider son camion.
C'est, aussi, cet ami Pakistanais désargenté qui, lors d'une foire internationale de Milan, m'invita à souper ; souper oui, mais pas n'importe où ! Cela se passerait gratuitement dans une mosquée à l'heure de la rupture du jeûne du ramadan. Curieux et enthousiaste, j'avais accepté.
Quand enfin nous arrivâmes à trouver la mosquée dans une obscure banlieue de Milan, après avoir laissé mes chaussures près de l'entrée et avoir, tout comme mon ami, fait mes ablutions, notons que je lui avais promis de calquer ma conduite sur la sienne, nous allâmes nous installer dans la grande salle sur le tapis de prière ; lui, comblé de retrouver un peu de son monde, et moi, un peu seul dans la ferveur collective. Je m'appliquais à mimer les gestes de mon ami, ses embrassades de tapis et ses "marmonnages".
L'heure avançant, cela commençait à me peser quand, enfin, une bonne âme se décida à dérouler une grande nappe de papier sur le sol, et une odeur de chorba piqueta mon nez tandis que mon estomac suppliait. La bonne âme arriva enfin vers nous, un plateau à la main, offrant une datte à chacun destinée à la rupture du jeûne. Moi, je choisissais la mienne avec une gourmandise augmentée par une journée de travail qui ne nous avait pas laissé le temps de manger. Rien ne résistait à mon impatience, aussi, très vite, cette datte sucrée et mielleuse se retrouva dans ma bouche, alors qu'autour de nous, comme un coup de foudre dans le silence, des centaines de regards désapprobateurs nous entourant, me dévisagèrent. Quel crime avais-je commis ? On nous interrogea, nous soupçonna : n'étions-nous pas des espions israéliens venus pour dérober leurs secrets ? Comment leur dire que moi je n'étais là que pour un repas exotique !...
Je n'eus pas à me justifier, mon ami Tarik me demanda de ne surtout pas parler. Il expliqua que nous étions tous deux à l'heure pakistanaise et que donc, pour nous, la rupture du jeûne était largement dépassée. De passage à Milan, sans famille et sans amis, nous voulions partager ce repas avec des frères. Un silence suspicieux s'installa alors, avant qu'une houle étrange ne s'empare de la foule. Entre sourates et commentaires, nous nous éclipsâmes alors que doucement, mon ami commentait avec érudition des passages de prière, cela avant qu'une poignée d'hommes menaçants ne viennent dans notre direction. L'heure du sauve-qui-peut avait sonné ! Chaussures à la main, nous courûmes jusqu'à la voiture. Par Toutatis ! Heureusement elle démarra avant que nous ne soyons rejoints par une horde ulcérée. Seule la faim, et un profond mutisme, nous accompagna jusqu'à un MacDo'. Deux jours plus tard une série d'attentats islamistes frappait Milan.
(Peut-être pour un carnet de voyage)