Maurice Lethurgez
Maurice Lethurgez est un écrivain de l’intime. Il questionne le Mystère d’Être, et plus particulièrement celui d’être né. Il s’applique à cette compréhension, non pas du seul point de vue de son intelligence en utilisant son bagage intellectuel formé à l’exégèse ou celui de psychologue, non, il enquête. Il fouille comme un archéologue, il remonte à l’heure du cri premier, traverse une mythologie de souvenirs subliminaux, déchiffre les silences d’une mère et d’un père. Il ausculte des odeurs disparues, des expressions jaunies au plat des photos, il entre dans le passé, comme un observateur scrupuleux. Il y entre si intensément, si profondément qu’il pourrait dire : maman, je suis là, je sais tes frissons, je viens de loin, je traverse les décennies à reculons, je suis venu te rejoindre, parle-moi, avant que je naisse, avant que la pudeur n’efface la jeune femme que tu étais pour en faire une mère.
Pour Maurice Lethurgez, la vie n’est pas une suite de hasards mais un puzzle où s’embusque l’inévitable des sentiments, le flot des émotions. Sa racine est là, dans la concrétisation d’un flux de palpitations antérieures. Il appréhende la vie comme un mécanisme dont il est l’horloger. Ligne après ligne, il remet en place le mécanisme de son arrivée à la vie. Maurice Lethurgez sait d’où il vient, son amour des lettres et de la poésie, il l’a appris de façon intra-utérine par les lectures de sa mère. Il y puise son identité première, celle qui a fait de lui l’homme qu’il est : un homme du mot. Pour Maurice Lethurgez, le mot se scrute, s’ouvre et se dissèque jusqu’à ce qu’il en ait trouvé le cœur. Il cherche dans la mémoire des mots les murmures qui ont précédé sa vie. Il cherche, il traque et trouve le frisson de la vie pour en faire une musique, sa musique d’Être.
jms
Quelques lignes de Maurice Lethurgez
Extrait de Naître
et
tout enténébrée d’un buisson d’avenir
elle lit…
elle lit…
elle lit…
et tient son ventre
dans le secret de ses lèvres
qui goûtent l’eau de vie de chaque mot
pour que ma soif
un jour soit plus grande…
car je suis là
où se lace le temps et l’espace
je suis le lieu
où l’inaudible mémoire
garde dans sa bouche
le goût des mots qui lui sont bus
jusqu’à l’abîme des marges
où les images s’enracinent…
et tout enténébrée d’une veille ultime
à la frontière du doute qui s’essouffle
elle lit…
elle lit…
elle lit…
déjà la donatrice
sépare l’ombre et la lumière
dans la brume des signes
jusqu’à la lisière des sons
mélange l’inattendu
aux résines de l’usage
détourne l’eau jaillissante du verbe
sur l’aile enflammée du silence
et souffle hors d’haleine
sur la limaille des songes…
ce sont des mages d’images
dans leurs fourrures de syllabes
qui se tiendront près du berceau…
ce sont des porteuses d’indicible
en robe fourreau d’obscur
qui déposeront l’étincelle et le reflet…
ce sont… ce sont…
et tout enténébrée d’un miroir de désirs
elle m’adosse
à la nuit des poèmes
Extrait de : il y eut ce cri
il y eut ce cri
dans la demeure des mots
qui nous relie où se mesurent
les semences de l’homme
au plus fort de son temps…
cri-finitude
dans la précarité
où s’irradie un rêve de puissance
quand le regard ne rive
que des choses finies…
cri-solitude
qui s’encapsule de présence
près des mythes-fontaines
où s’abreuvent les mélopées…
et tout à coup tout en nous
cette voix qui agonise
et ne porte pas de nom
cri-banquise
qu’effritent les courants d’indifférence
jusqu’au raz de marée de nos dires…
il y eut ce cri
si mâle sur le seuil
dont l’effilement de son profil
prolonge le songe de l’infini…
cri-traité-sans-fard
sans la complaisance
d’un excès de miroir
où tient à se convertir une image
laissant aux commentaires de nos sens
l’étrange soumission de son être…
mais déjà sur la dernière marche
au point fixe des blessures
ce cri prêt à jaillir où se consume
la transhumance du sens
tendu vers le plus haut
vers la sourde émotion
d’une parole-hameçon
hissée dans la lumière du temps
qu’ensevelit le corps vivant de l’ombre…
que nous semble ce cri qui arrive
et ne nous parviendra
peut-être jamais ?