Entre les lignes de Jean-Marc La Frenière

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

J’écris entre les lignes
des phrases qui s’effacent,
des mots noyés dans l’encre,
des paroles sans mots,
des consonnes sans sons,
des voyelles sans voix,
un alphabet sans lettres,                              
des lettres sans adresse.
J’écris avec la main coupée de Cendrars.
J’écoute avec l’oreille de Van Gogh
qui délire dans Arles.
Je marche avec les jambes de Bousquet,
celle amputée de Rimbaud
où la gangrène gagne.
Je vois avec les yeux d’Homère.
Je monte avec les ailes d’Icare
et les bras de Sisyphe.
J’écris à cœur ouvert
pour une femme à ciel ouvert.
Je crois avec la foi d’un loup,
la tendresse des ronces,
la finesse des roses.
Je dessine avec l’encre des poulpes,
la couleur des abeilles,
le dessin des fougères,
la plume d’un oiseau.
Je n’écoute pas les chiens
quand la caravane passe
J’abreuve les chameaux
qui rêvent d’oasis.
J’écris avec la terre, le feu,
l’eau qui monte à la bouche,
le gosier d’André Laude
assoiffé d’utopies,
un arc-en-ciel en terre,
les hanches d’un violon,
la anche d’un hautbois,
les deux mains d’un potier.
J’écris avec les mains,
les yeux plus grands que la panse,
la pensée des pivoines,
le monde sur la langue,
l’injure entre les dents,
la tendresse en sautoir,
une fleur en bandoulière
sur les champs de bataille.
J’écris avec la bouche
qui n’a pas toutes ses dents,
la cervelle d’Artaud
sous les électrochocs,
les lèvres de Godin
qui réapprennent à rire,
la roulotte de Kerwich
où méditent les fleurs,
la sauvagerie des plantes
qui survivent en montagne.
J’écris entre les bombes,
les balles d’un sniper,
les mines à découvert,
les tigres de papier.
Je n’écris pas avec la langue de bois
ni celle des preachers,
le jargon des monnaies,
le charabia des banques.
J’écris comme un chien pisse
au pied des monuments,
comme un ange égaré
au milieu d’une banque.
J’écris comme un poème
dans les colonnes de chiffres,
une phrase d’enfant
au milieu des slogans,
une fleur de rhétorique
sur le bout de la langue,
une métaphore sauvage
au milieu des pelouses.
J’écris avec le cœur
avec tout ce qui manque,
ce qu’on jette au rebut,
ce qu’on n’ose pas dire,
ce qu’on n’ose pas faire.

J’écris avec les dents,
les œdèmes, les plaies,
les pansements de verdure
sur les blessures du fer,
l’humus des caresses
dans le jardin des gestes,
la tendresse des mains
qui soignent les vergers,
la patience des femmes
au chevet des mourants.
J’écris entre deux portes
où s’ouvre l’invisible.
J’écris entre les lignes
sans pouvoir m’arrêter.

Jean-Marc La Frenière

http://lafreniere.over-blog.com/

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