Rencontres littéraires de Clans 5, 6, 7 avril 2019
Aucune nuit n'est plus large que le rêve
Il y a ceux qui ont du cœur au ventre
Et ceux qui ont du ventre et pas de cœur
Ceux qui ont un cœur d’artichaut
Mais de cœur pour personne
Il y a ceux qui ont la main sur le cœur
Mais le portefeuille trop loin du cœur
Il y a ceux qui ont le cœur à l’ouvrage
Mais que le travail écœure
Ceux qui ont du cœur
Mais l'utilisent à contrecœur
Il y a les cœurs serrés qui cherchent le grand cœur
Les cœurs lourds trop fatigués d'avoir le cœur gros
les cœurs joie qui chantent en chœur
Les bourreaux des cœurs
Qui se repaissent de cœurs purs et de cœurs légers
Les cœurs de pierre et les cœurs de marbre sur lequels se brisent les cœurs tendres
Les cœurs bien accrochés qui vacillent au premier accroche-cœur,
Il y a les cœurs en or qui n’ont pas le cœur net
Les faceboocoeurs qui se cherchent chez les bookmacoeurs
Et moi, le moqueur
Qui t'aime cœur battant et te connais par cœur.
JMS
L'hiver arrivé
L'idiot se joue de la perplexité
L'y-grec perd son latin
L'Ylang-ylang m’interroge
L'I droit sculpte des points d’exclamation
L'iris lit l'exaltation des cigales
L'imminent fouille le passé
L'irrémédiable exécute le futur
L'iguane posée sur la pointe d'un rire
Irrite mes désespoirs
Et pourtant vient toujours…
L'hirondelle qui fait son printemps
L'ironie qui repeint le soleil
L'ivresse qui se joue de moi
L'inné qui cherche sa matrice
Et pourtant au matin
L'in est août quand part l’été
Le hibou ne fait plus le café
L'incalculable ouvre des frayeurs d’automne
L'inédit réédite des tendresses à venir
L'irréel ouvre de nouveaux lendemains.
JMS
David Nakache nous dit :
556 SDF sont décédés dans la rue, en France, en 2018.
Parmi eux, six enfants de moins de 5 ans.
Tout va bien...
Dois-je remercier le libéralisme ?
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En Cap d’Indifférence
Doigts agrippés sur l’impossible,
je te regarde
Suppliques,
mots forceps
extirpés de bouches tordues,
oreilles orphelines à l’amour
Toi, mon frère
je te regarde
Tu as mangé tes larmes
et trempé ton pain
Tu n’es pas sorti d’Egypte
Pharaon est un billet vert
La mer rouge est gardée
comme un hypermarché
Je te regarde, mon frère
Qui es-tu déguenillé ?
Es-tu encore homme ?
À Cap d’Indifférence,
suis-je devenu si sourd
que je ne t’entende pas ?
Si aveugle au monde
que je ne te voie pas ?
Irai-je
parmi ces handicapés du cœur
me promener, souriant,
une fleur entre les dents ?
Irai-je
piétiner les rêves détournés
des enfants d’ailleurs ?
À Cap d’Indifférence,
il n’y a plus d’humain
À Cap d’Indifférence
Suis-je encore un homme ?
JMS
in "A l’ombre des réverbères, J’ai faim, j’ai froid, j’ai peur"
Les Pohémiens
Extraits du
spectacle poésie-musique
dans le cadre du
Printemps des Poètes
chez "Art En Partage, Art En Résistance"
19 rue Saint-François-de-Paule, premier étage
le 16 Mars 2019
Voix et textes
Jean-Michel Sananès
Ile Eniger et Bruno Sananès
Musique
Bruno Sananès
Aujourd'hui le soleil court
sans savoir qu'à chaque départ
l'absence d'une voix, d'un regard,
d'un sourire, agrandit l’ombre
Ta voix pourtant encore combat cette ombre
tu es partie, nous léguant l’invisible
et ce coin où remuent encore
des mots, des rires, et l’amitié
Une inattendue douleur s'étire sur le chemin
les sommeils de l'amitié ne l'avait jamais agitée
Aujourd'hui ton absence agrandit la voix des ombres.
Lettre à mes frères et à ceux qui m'aimeraient mort
Vois-tu, frère d'Occident,
je n'opposerai pas le clapotis des larmes sur le sentier des indiens
ni le bruit du fouet sur le dos de l'esclave
ni le grincement des portes de fourgons à Birkenau,
au rire et au mépris des bourreaux et autres marchands de calomnies.
Occident, je te sais parmi les grands fossoyeurs de la tendresse,
alors que tu t'auto-congratules au nom de cet amour souriant
que tu as si généreusement dispensé
au pied des bûchers en regardant les corps se tordre.
Vois-tu, frère d'Orient,
je n'opposerai pas le clapotis du sang jailli des gorges tranchées
ni celui des enfants chrétiens d'Orient
ni celui des Kurdes, Coptes ou Yazidis,
je n'opposerai pas les crimes commis au nom d'une barbarie infinie
qui se réclame de miséricorde,
à ceux qui, parmi les tiens, croient encore à l'amour
et aux droits de tous à partager les territoires de la vie.
Vois-tu, frère Homme,
je sais les marchés millénaires de Goa et de Tombouctou
où tant de mes frères noirs furent vendus, émasculés,
torturés, avant leur voyage pour l'Orient,
je sais le chant lancinant des gnaoua*
qui cerne encore la douleur d'une négritude torturée,
je sais les familles déchirées, exportées,
et le sang versé sur les chemins de la traite transsaharienne.
Frères d'Orient et d'Occident,
je n'opposerai pas les mensonges des dogmes mille fois réécrits
en ces livres si jalousement défendus
qu'ils dégoulinent d'un sang encore frais.
Je sais la vanité des certitudes éculées et par trop pliées aux nécessités des pouvoirs,
je sais douze siècles de douleurs d'enfants d'Afrique vendus par leurs frères d'Islam
je sais l'Indien à qui l'on vole ses dernières terres
je sais la rumeur qui chante encore le pogrom
je sais le rire des enfants si fragiles au couteau et au bruit des bottes
je sais le prix des larmes si léger à l'indifférence des tortionnaires,
et, encore aujourd'hui,
je sais, de l'Orient à l'Occident, les nostalgiques du crime unis
dans la négation de la déportation de millions d'hommes,
je sais certains d'entre vous si bien rompus à l'esquive et à la haine,
je le sais, comme je sais le mal qui court
et les humains que l'on vend de Tripoli à la Mauritanie, de Raqqa à Erbil.
Non, je n'opposerai pas les larmes à la jubilation des bourreaux et des violeurs
Non, je n'irai pas à la chasse aux coupables
mais je chercherai, parmi vous, ceux qui savent encore
que, de toutes couleurs, les hommes ont une même âme
que, de toutes couleurs, les humains ont un même cœur
que, de toutes couleurs, les mères ont les mêmes larmes
que, de toutes couleurs, les enfants ont un même rire.
Pourtant, je sais le soleil et le rire des enfants assombris
par ces détenteurs de vérités qui croient que la terre est plate
et qui, se croyant au-dessus de mes frères humains,
vont, fusils ou couteaux à la main.
Je sais le mal et la douleur dans les rues de Paris, Nice, Strasbourg, ou ailleurs,
je sais Simone Weil et Ilan Halimi sous l'immondice des croix gammées,
je sais la douleur qui couve sous des chapes de haine.
Face au doute, quand mon âme se fissure, la question se pose :
La vie, le respect et l'éthique ont-ils encore cours ?
*Les Gnaoua : musiciens du Maghreb, descendants d'anciens esclaves africains souvent capturés au Ghana d'où le nom de leur musique
Il y a les filles que l'on ramène au bercail
les yeux emplis d'étoiles
sûr que les copains te savent maintenant du monde des grands !
Il y a celle qui te remue le cœur
pour qui tu voudrais repeindre ton âme
le temps des fleurs et du rêve montant.
Il y a les jours qui passent et les enfants qui jouent
et le temps qui enlève et les matins chagrins.
Il y a les jours soleil et la fuite des jours
ces chats que le temps vole et des odeurs d'enfance
la mère qui se cherche et la pendule qui hurle
des brassées de vent sur des misères de jeunesse
la brûlure et le rire sous une tendresse de coin de feu
l'attente des jours de noël et des retrouvailles
cette saveur de crépuscule et de jour qui part.
Reste toi, reste nous et la richesse des mémoires
l'espoir de rester ensemble debout
le bonheur d'avoir aimé plus fort que d'être aimé.
Reste un grain de poussière qui gratte aux souvenirs
ce sel qui coule en pensant à grand père.
Reste toi, reste nous, sur les chemins d'attente.
Et le temps qui passe, et le temps qui joue…
JMS
Nous faudra-t-il inventer une raison de vivre pour contrer l’économie ? On n’a pas vu mes larmes. On n’a pas vu mon sang. La vie commence avec un capital d’illusions, avec la mort en supplément. Dans l’oppression de ma poitrine, un air d’ocarina (mon père en jouait entre deux raids aériens), de flûte à bec ou de gazou, colmate mes poumons déchirés. Avec le temps, la mémoire se vide. Je dois mouiller la boue entre les parenthèses. Chaque matin, je dois recommencer, mais ni le crayon ni la pelle ne suffisent. La mémoire s’écroule. C’est mot à mot que j’entasse les briques. Pourtant, je suis vivant. J’aime et je parle. Je surveille les arbres jusqu’à la floraison. Je me perds en moi où je longe un abîme. Mon pied retient ses pas au bord de la falaise. Il faudra bien un jour effacer le passé pour faire place au présent. Nulle métaphore, pourtant, n’efface les sanies ni l’hernie de la chair, le sang, la salive et l’urine. Je suis l’idiot penché sur un arbre abattu, le fou qui parle seul et l’enfant qui dérange. Je m’émerveille encore des tapis de verdure. Parmi tant de brins d’herbe nul brin n’est pareil. Quand on dit l’homme, on doit revoir son enfance, déshabiller le temps des loques du présent. On me refuse à boire. On impose à ma soif toute une pharmacopée. Je me souviens encore du ventre de ma mère. Malgré la cendre et la poussière, le sang fait des projets. Je ne veux pas mourir à genoux, mais dans les bras de l’amour. Qu’on me brûle plus tard avec mes vieux brouillons et tous mes invendus. L’ici-bas et l’ailleurs soufflerons sur les braises. Pour tous les Indiens morts, je partirai en signes de fumée. Je serai ce présent qu’on conjugue au futur. Je veux mourir d’espérance.
Jean-Marc La Frenière