Extrait 4 de “DERNIÈRES NOUVELLES DES ÉTOILES
Extrait de la nouvelle : "L’homme qui entendait des voix"
Partout où s’agite la révolte qui fait taire les voix de l'invisible, fait taire sa conscience.
Le matin s’étirait en froids frissons. De toutes parts, l’aube bleue s’effrangeait en de mornes lueurs jaunes. Les premiers rayons de soleil, griffés par la pierre et la gerçure, traversaient l’opacité pour caresser les doigts de Pierre-le-Chevelu.
Comme d’autres, Pierre, un manant de basse campagne, survivait en extirpant des résidus de la vieille mine, et d’un braconnage qu’il avait jusque-là partagé avec Margot la Dame-des-Bois.
Ce jour-là, très tôt, il avait quitté son désert ocré d’herbages maigres, pour assister aux cérémonies. Il avait pris place sur le parvis de l’imposant bâtiment de verre orné des symboles de l’Empire et de motifs colorés.
Hostile et solennel, mi-forteresse, mi-cathédrale, démesuré, le Palais enfonçait ses flèches et ses tours dans un ciel lourd sans transparence, presque gris, où de grands nuages de soufre, jaunes, phosphorescents, effrayants, naviguaient.
La foule s’amassait sur la grand-place, une armée de zombies aux visages enduits de crème kaki. Tous avaient les yeux cachés par d’énormes lunettes qui intégraient un module de communication. L’Empire pouvait ainsi les informer des dangers météo et "être à leur écoute".
Une projection holographique sculptait dans le ciel une voûte arborant des armoiries. Un lion et une croix s’y entrelaçaient. Quatre cosmopendules indiquaient la direction des quatre grandes institutions de l’Empire. Toutes quatre affichaient : An de Grâce 2812, 15 avril, 10 heures 12 minutes.
Ce n’était pas par crainte d’être pris pour un opposant à l’Institution ou pour échapper aux nécessaires travaux qu’imposait l’Empire que Pierre avait hâté son pas. Une force impérieuse le guidait. Il fallait qu’il salue une dernière fois Margot, sa voisine. Il fallait qu’elle le sente là, près d’elle. Il ne pouvait lui offrir rien d’autre qu’un adieu. L’appétit d’étrange curiosité et d’excitation malsaine de la foule se mêlait au terrible besoin confus de miracle et à la tristesse qu’il éprouvait...
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Alors que Pierre quittait la place et tentait de se faire oublier, une autre phrase incongrue venue de nulle part, emplit à nouveau sa conscience. Elle ricochait dans sa tête, cherchant sa pleine dimension : La mort est un passeur d’absence.
L’étrangeté de cette formulation le percuta de plein fouet et le tint aux aguets d’un indicible ailleurs.
Sur la route sableuse, pendant qu’il parcourait des taillis de plantes et de buissons étranges aux formes parfois frémissantes, d’autres pensées venues d’ailleurs le maintinrent dans un état d’extrême tension : Méfie-toi des hommes en noir… La colère guette dans l’ombre… Viens à nous fils de l’homme, rejoins-nous.
Pierre se décida enfin à converser avec l’étrange :
- Est-ce toi Margot ?
Un rire l’ébranla de spasmes incontrôlés, quelqu’un lui parlait dans sa tête : La cendre ne parle pas, fils d’homme. Regarde autour de toi !
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