Amis, un jour je partirai
Amis, un jour je partirai dans le silence des mots inécoutés.
Je partirai avec tout ce que je n’ai pas fait, pas dit, pas écrit.
Je partirai comme une encre effacée.
Je m’en irai loin, loin de vous et des miens.
Parmi les enfants du néant.
Dans les immensités de l’in-savoir.
Amis, peut-être nous sommes-nous déjà rencontrés.
Dans un monde ailleurs.
Au profond des réalités incontournables.
Peut-être même avons-nous échangé quelques mots,
une phrase ou un poème en ce langage des cœurs
que nul n’enseigne alors même qu’il est indispensable.
Amis, peut-être avons-nous bousculé la raison.
Jeté des pavés dans la mare aux certitudes.
Peut-être avons-nous cartographié quelques-uns des hiéroglyphes du Mystère.
Peut-être même que du haut de nos cultures,
nous les avons brutalisés parce que pour les approcher,
il nous aurait fallu être nus de culture et de savoir.
Il nous aurait fallu les décrypter loin des bibles et des guides de savoir-vivre.
Il aurait fallu tant et si peu de choses pour que le regard soit autre.
Pour que l’autre soit un prochain.
Pour que l’indifférence n’obstrue plus le paradis.
Il aurait fallu refaire la matrice et désinventer le crime.
Il aurait fallu plus de rêves que de réalisme, plus d’amour que d’argent.
Vous le saviez amis, et pourtant, peut-être ne nous sommes-nous jamais rencontrés.
Où allez-vous, ou courez-vous amis ?
D’où venons-nous amis ?
Tant de temps que je vais ma route,
que je parcours l’agitation désespérée de milliards d’hommes
qui se cherchent à la parade dans une course effrénée aux images
sans jamais regarder en arrière, sans jamais voir en eux.
Si la vie n’était ce virtuel où les contraintes empêchent de vivre,
peut-être aurions-nous pu nous rencontrer amis.
Un jour, peut-être, nous rencontrerons-nous plus loin que nos états d’âme,
cabotant ou dérivant vers des continents de fraternité.
Peut-être traverserons-nous ensemble les fleuves de la vie et de la mort.
Peut-être partirai-je sans que nos vies se soient croisées.
Peut-être partirai-je sans avoir usé la Question.
Peut-être qu’à la traversée du siècle,
j’aurais dû cesser de chercher un sens au voyage et partir sans boussole,
ne plus user mes mots et mes cris à pleurer sur l’abdication de la beauté.
Peut-être aurais-je dû comprendre que la sagesse est dans l’acceptation
et ne jamais croire que l’acceptation est un renoncement.
Peut-être aurais-du bâillonner les cris de ma conscience.
Ne plus arpenter le rêve et l’amour.
Ne plus vouloir en habiller ceux que j’aime.
À la croisée des jours, j’ai voyagé, tendu la main,
appelé, lancé des bouteilles aux étoiles, à la toile et aux quatre univers.
Peut-être me suis-je trop nourri de tendresses d'enfants.
Peut-être ai-je trop traversé la larme et le rire.
Peut-être ai-je trop oublié mes certitudes.
Amis, je vous ai cherchés en ce royaume de chair et de sang
où mon rire se noie dans la marée des jours perdus.
Si dans cet ici, Dieu n'a jamais occupé plus de place que mon chat,
ne Lui en tenez pas rigueur, peut-être aurait-Il pu être, aussi, mon ami.
Les êtres de l’absence ne portent-ils pas plus de rêves
que les cyniques terroirs du visible ?
Amis, quand viendra l'instant,
je partirai riche d'amour et plein de ceux qui ont donné sens à ma vie.
Je partirai dans le silence des mots inécoutés.
Du fond de ma vieille peau d'enfance froissée,
je suis prêt.
JMS - Clinique St George nov. 2012