Jean-Marc La Frenière
Laissez l'herbe chanter
Des missels aux missiles, nous nous sommes égarés dans la parole des dieux. Les souliers de la morale et les bottes de soldat étouffent la pointure de l'âme. On ne sait plus prier mais on
embrasse la guerre sur la bouche. La rose prend le maquis dans son treillis d'épines. La vie bégaie devant la mort. La rivière durcit où nous ramions en paix. On ne peut plus marcher sans
recoudre la terre. Des oiseaux apparemment heureux cachent des larmes dans leurs ailes. Les yeux qui nous regardent ne montrent pas leurs yeux. Il faut lire en aveugle dans la tête des autres. Il
y a trop de mensonges, trop d'ordures à fleur de bouche, pour écrire sans colère. Les plantes qui n'ont pas de pensée ont la foi du soleil, la force de la sève, le langage des fruits. Il faut
apprendre d'elles le partage des sources. Dans la nécessité commune, le cœur n'a pas de fin. Je ramasse le feu au milieu de la cendre. Je déplie le vent dans une rumeur de livre et je replie le
temps comme une lettre à la poste. Lorsque l'instant hésite entre le cri et le silence, le bec de ma plume agite les voyelles et déchire la nuit. Une lumière émane des écorchures de l'âme.
L'espoir s'agrandit autour du poème. Tant qu'un homme veille et broie la loi entre ses dents, la cécité recule. De l'embuscade à l'accolade, les bras de la bonté s'allongent. Une écriture neuve
surgit du corps en deuil et invente le pain là où les femmes enfantent. Les premiers mots d'amour font trembler les fusils. La sève monte dans les tiges. La terre devient pubère où il pousse de
l'herbe. On s'échange des mots, des messages, des mains. On parle toutes les langues dans un seul sourire. Laissez l'herbe pousser et la cigale chanter parmi tant de fourmis. Laissez-moi donc
rêver à défaut de dormir. L'espoir se tient debout au milieu des orages pour éveiller les morts.
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