Un goût de déjà vu : Sixties-seventies - La vie en rose (1968)
Le soleil brillait encore
dans la mémoire des lointains
C’était un temps étrange et sucré
où de curieux imprécateurs nous parlaient d’avenir
Dans le cœur d’un piaf
mourait la vie en rose
et les couleurs du jour
Là-bas au pays des hommes,
les mecs à idées vendaient un monde
dont ils avaient chassé les Dieux
Dans les printemps de Prague
on assassinait Marx
le Banana-consortium
fleurissait sur l’Amérique latine
Ailleurs dans les remous de la puissance
naissaient des ordres nouveaux
qui érigeaient des Marseillaise
à mal gammées d’idées noires
À l’ombre des bombes à neutrons
les Présidents se rassuraient
Et moi, pauvre mec
aux devantures des drugstores
je m’interrogeais
sur la morphologie des parapluies à mégabombe
En ce temps là, des cris d’oiseaux
ciselaient des crépuscules suaves
Martin Luther rêvait encore
Au pays des hommes
les mecs à idées vendaient le monde
rêver n’était pas de mise
Là-bas, ils fusillèrent nos rêves
C’était un temps étrange et sucré
les enfants du rêve perdu
cerclaient des A sur les murs de la Ville
Quand l’espoir n’est plus à la taille des désespoirs
il faut bien que quelqu’un le crie
Des Fuji-Yama d’inconscience nous berçaient
des Himalaya de diplomatie-science nous bernaient
Des chants de larme déchiraient le silence
pendant que les orangs-outangs
les bébés phoques ou Biafrais
et autres frères muets
dans un stade au Chili
ou dans ces camps en Sibérie
loin des canards*qui parlent
laissaient leurs peaux et leurs idées
Big Brother veillait
Les anges de la désillusion
poudraient les couleurs du jour
de rêves d’héroïne
Dans le cœur d’un piaf
mourait la vie en rose
C’était un temps étrange et sucré
où de curieux imprécateurs
nous parlaient d’avenir
Et moi, et moi
pauvre mec, dans la jungle des marchands
ou autres péripathétiques chiens
qui vendent leur vie contre le droit de becqueter
j’étais ce chien errant et hors-la-loi
condamné pour divagation sur la voie publique
qu’on expatrie au paradis des chiens
pour avoir osé vivre sur une terre
qu’on lui a volée
Et moi, et moi pauvre mec
dans les jardins du Luxembourg
je cherchais le goût de l’automne
Le soleil brillait encore
dans la mémoire des lointains.
* canards = journaux
In Cheval fou et De Pluie et d'étoiles (compilation) Éditions Chemins de Plume