Avant trop tard

Publié le par CHEVAL FOU (Jean-Michel Sananès)

L'enfance dormait
Quand le blanc et le noir ont tracé
Leur frontière
L'horizon apprenait que
Lorsque les mots égarent l'amour
Les hommes perdent leur âme.

Le ciel regardait
Ce tapis vert où le goudron des haines
Faisait la couleur des Temps
Le dé des possibles était-il trop lourd
Pour être lancé à contretemps ?
À perd et impair
La main cajolait
Comme le serpent de l'inquiétude.

Dans ce siècle en partance
Je restaure la fissure des heures
Et les paragraphes ou l'Histoire s'enlise
L'orgueil des certitudes
Porte tant de cadavres que j'y cherche les miens.

La chimie d’exister a des regards d'enfant
Je m'y enferme, oubliant
Les chevaux d'abattoir qui courent à la folie
Deux mains sur la bouche
Au ciel impuissant
J'appelle la sagesse des cœurs
Pourtant
Je sais qu'il me faudra partir
Satisfaire l'appétit d'un virus à l'entêtement majeur
Ou les soubresauts d'un épuisement mineur
Partir pour un rien ou pour rien.

Je partirai
Là-bas d'où je viens
Sur les pistes gravées du vent
Cherchant dans le granit des millénaires
Des traces sur ce chemin
Où les cris vont aussi loin que la source du souffle.

Je partirai grapher des désespoirs d'utopie
Et des croyances d'autres jours
Je me souviens
Ma mère disait :
"Il y a des soupirs pour l'amour
Que l'on mouche entre deux revers de manche
Et ceux que l'on pose sur la douleur"
Des douleurs j'en ai eu
Il en est dans l'immensité de l'être
Et dans ces marécages sans regrets
Où les mots poisons glissent entre les doigts
Comme le flot d'une cascade d'eau amère.

Un jour, je partirai
Là-bas d’où je viens
À l'inventaire des phrases perdues
À contre-silences
Il est des cris mutins que l'on enterre
Dans le bruit sourd de certaines larmes
À la cacophonie des horizons
Chaque larme a son langage
Le bavardage est une distance
Les mots en cage sont des tombes
Le silence y est mausolée.
Entre les marbres et les cyprès
Je cherche Grand-Père
Si loin que parfois je me perds
Je suis à l'âge du "avant trop tard".

Si la nuit me percute
Je ne veux pas de saint Barthélémy des roses
Ne me jetez pas de fleurs
J'ai bu à leur inquiétude
J'ai bu au feu des crépuscules
Il fut un temps ou l'on immolait l'agneau
Laissez aux fleurs leurs fragrances et leurs couleurs
Le ciel se servira lui-même
Aucun passeport ne devrait être payé
Autrement que par le souvenir que l'on laisse
L'éternité n'a d'autre prix que le non-oubli
Ne me jetez pas de fleurs
Ici-bas, aux matins secs et aux hivers
J’ai bu ce que j'avais à boire
Ici-bas, j'ai traversé l'espérance des printemps.

Si d'aventure j'ai blessé, froissé, déçu
Pardonnez
Je partirai sans oublier vos douleurs
J'irai mettant un nom sur vos visages
Je croquerai le mérité et l'immérité
Comme les fruits d'un même arbre
Je partirai avec ma besace de passé
Je partirai sans crainte.

Un jour je partirai
Je sais qu'il me faudra partir.


JMS juin 21

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article